Aller au contenu
Séances précédentes
Séances précédentes
Séances précédentes

Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 45e Législature
Volume 154, Numéro 16

Le jeudi 26 juin 2025
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le jeudi 26 juin 2025

La séance est ouverte à 9 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

L’honorable Marc Gold, c.p.
L’honorable Marie-Françoise Mégie
L’honorable Judith G. Seidman

L’honorable Sharon Burey : Honorables sénateurs, c’est avec des sentiments mitigés que je prends la parole aujourd’hui pour ajouter ma voix et mon nom à la liste des sénateurs qui rendent hommage à trois géants du Sénat : le sénateur Gold et les sénatrices Mégie et Seidman.

[Traduction]

Les brillantes carrières qu’ils avaient avant même d’être appelés à siéger dans cette auguste enceinte et ce qu’ils ont accompli par la suite m’ont profondément marquée. J’ai eu le privilège d’observer tant leur manière d’agir que de travailler, ce qui m’a aidée à définir mon rôle en tant que sénatrice et le rôle fondamental du Sénat dans notre Constitution.

Voici un extrait du Document d’accompagnement du Règlement du Sénat :

Le Règlement du Sénat est la fondation sur laquelle reposent les procédures du Sénat, mais ne suffit pas à lui seul à faire toute la lumière sur le fonctionnement quotidien de l’institution. Dans les faits, les usages [...]

 — c’est-à-dire la générosité d’esprit, l’humilité et la volonté de partager l’expérience et l’expertise qui caractérisent la famille dont j’ai le privilège de faire partie —

[...] ne sont que partiellement exprimé[s] dans les dispositions écrites.

Le sénateur Gold, représentant du gouvernement au Sénat, avocat constitutionnaliste et musicien, m’a réservé un accueil des plus chaleureux. Le premier appel que j’ai reçu après avoir été nommée par l’ancien premier ministre Justin Trudeau a jeté les bases des jours, des mois et des années à venir.

Son influence sur la modernisation continue du Sénat, qui est passé d’un système bipartite traditionnel à un système composé de multiples caucus, a véritablement façonné ma compréhension de la doctrine de l’arbre vivant de notre Constitution.

[Français]

La sénatrice Mégie, une médecin de famille distinguée, m’a accueillie avec son sourire bienveillant et son visage serein. Son engagement à faire en sorte que les langues officielles soient tenues en même estime et valorisées de manière égale, que le français soit reconnu au même titre que l’anglais, m’a aidée à comprendre la loi et le fait que la langue est l’essence même de l’identité et de la culture.

[Traduction]

La sénatrice Seidman est une épidémiologiste distinguée, dont la générosité et la gentillesse sont sans pareilles. Son insistance à vouloir s’appuyer sur des données et des preuves pour déterminer si des conséquences imprévues sont possibles alors que nous étudions et examinons en détail des projets de loi importants m’a convaincue que j’étais au bon endroit et que le chemin que je me préparais à suivre serait parsemé de perles et non de miettes.

[Français]

Pour conclure, je salue chaleureusement le sénateur Gold et les sénatrices Mégie et Seidman. Je leur souhaite, ainsi qu’à leur famille, joie, paix et santé dans ce nouveau chapitre bien mérité d’une vie déjà comblée et extraordinaire.

Je vous remercie. Meegwetch.

Jimmy Lai

L’honorable Pierre J. Dalphond : Je fais également miens les commentaires de la sénatrice Burey.

Honorables sénateurs, alors que nous nous préparons pour la pause estivale que nous allons passer avec nos amis et nos familles, j’aimerais que nous prenions quelques minutes pour penser à Jimmy Lai, ce champion de la démocratie et de la liberté de presse à Hong Kong, qui a d’ailleurs des liens très étroits avec le Canada.

[Traduction]

Vous vous souviendrez peut-être que M. Lai a fondé le journal Apple Daily en 1995. Ce journal allait devenir, selon les termes de la BBC, « le porte-étendard du mouvement prodémocratie ».

Au cours de l’année qui a suivi l’imposition de la loi sur la sécurité nationale par Pékin, le quotidien Apple Daily a été contraint de fermer ses portes et ses actifs ont été saisis, un moment qu’Amnistie internationale a décrit comme étant le « jour le plus sombre pour la liberté de la presse de l’histoire récente de Hong Kong ».

Depuis le mois d’août 2020, M. Lai a fait l’objet d’une série d’accusations motivées par des considérations politiques. Depuis décembre 2020, il est détenu dans des conditions pénibles et inacceptables, notamment en isolement cellulaire.

En décembre 2023, M. Lai a été traduit en justice en vertu de la loi sur la sécurité nationale pour sédition et complot en collusion avec des agents étrangers, notamment le Canada. La cause est actuellement entendue par un groupe de juges soigneusement choisis par le pouvoir exécutif hongkongais. Les plaidoiries sont prévues pour le mois d’août, soit plus de dix-huit mois après le début d’un processus biaisé visant à réduire M. Lai au silence et à envoyer un signal inquiétant à tous ceux qui osent contester les règles imposées par Pékin à Hong Kong.

Chers collègues, on inflige tout cela à un homme de 77 ans qui souffre de diabète et dont l’état de santé se dégrade. Faisant état d’inquiétudes généralisées, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a déterminé que la détention de M. Lai était arbitraire, et de nombreux organismes de défense des droits de la personne ont réclamé sa libération immédiate.

En novembre 2023, l’archevêque émérite de Vancouver, Michael Miller, faisait partie des 10 évêques catholiques signataires d’une pétition exigeant que la Région administrative spéciale de Hong Kong libère immédiatement et sans condition M. Lai, un catholique. En décembre de la même année, le Sénat s’est joint à l’autre endroit pour adopter à l’unanimité une motion demandant la libération immédiate de M. Lai.

Chers collègues, notre appel à la libération de M. Lai doit encore être entendu cet été, et plus longtemps encore, jusqu’à ce que M. Lai soit libre. Merci.

L’Assemblée canadienne de la jeunesse sur le climat

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, selon le principe de la septième génération, qui repose sur une ancienne philosophie haudenosaunee, les décisions que nous prenons aujourd’hui doivent assurer un monde durable pour les sept prochaines générations.

En tant que sénateurs, nous avons tous la responsabilité particulière de représenter les intérêts de groupes de Canadiens qui pourraient ne pas être entendus autrement, mais qu’il est important de prendre en considération. Les jeunes Canadiens constituent l’un de ces groupes. Je prends la parole aujourd’hui pour vous parler d’une occasion formidable qui nous permet d’être en contact direct avec les jeunes Canadiens et qui vise à assurer un avenir durable.

Cet été et cet automne, l’Assemblée canadienne de la jeunesse sur le climat réunira un groupe représentatif de 36 jeunes de 18 à 25 ans venus de partout au Canada pour apprendre d’experts et les uns des autres, et pour présenter aux sénateurs et aux députés un ensemble de recommandations éclairées concernant leurs priorités en matière de lutte contre les changements climatiques.

Les jeunes se réuniront pour répondre à la question suivante : qu’est-ce que les jeunes Canadiens veulent que le Parlement fasse pour respecter les engagements climatiques du Canada d’une manière qui reflète leurs valeurs et leurs priorités?

La partie en personne de l’assemblée aura lieu à Ottawa, du 17 au 21 septembre, et les jeunes présenteront leurs recommandations au Sénat le 21 septembre au matin.

Compte tenu de l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement, des possibilités de transformation pour l’économie, des répercussions dévastatrices de l’accélération des changements climatiques, de la tenue de la COP 30 au Brésil en novembre, et des décisions importantes qui doivent être prises, le moment est tout indiqué pour faire entendre la voix des jeunes Canadiens aux parlementaires.

Cette toute première assemblée citoyenne sur le climat au Canada est le fruit d’une collaboration entre Environmental Leadership Canada, Mass LBP et le groupe Sénateurs pour des solutions climatiques. Le caucus multipartite sur le climat de la Chambre y participera, et nous sommes soutenus par le Knowledge Network on Climate Assemblies, qui est basé à l’Université de Westminster.

(0910)

Nous nous réjouissons de votre participation à l’Assemblée canadienne de la jeunesse sur le climat. Nous espérons que vous en ferez la promotion par l’entremise de vos réseaux sociaux et d’autres réseaux et que vous contribuerez au recrutement des jeunes dans votre région. Le site Web est climacan25.ca.

Inscrivez la date du 21 septembre à votre agenda afin de vous joindre à nous au Sénat, où les membres de l’Assemblée canadienne de la jeunesse sur le climat feront part de leurs recommandations aux parlementaires.

Enfin, je vous prie de nous aider à trouver des moyens de maximiser la portée des recommandations des jeunes au Sénat.

Honorables sénateurs, j’espère vous voir le 21 septembre afin d’entendre ce que les jeunes Canadiens nous recommandent à nous, parlementaires, sur ce que le Canada peut faire pour respecter ses engagements climatiques et sur les moyens qui nous permettent de garantir un monde prospère et durable aux sept prochaines générations.

Je vous souhaite à tous un merveilleux été en compagnie de toutes les générations de vos familles.

Merci, wela’lioq.

Le Sénat

Manon Champagne—Hommage à l’occasion de son départ à la retraite

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à Manon Champagne, une personne appréciée au sein de la famille du Sénat et une dirigeante remarquable du Bureau de l’huissier du bâton noir, qui quittera le Sénat du Canada le 17 juillet prochain pour amorcer sa retraite.

Manon a consacré sa carrière à l’art et à la discipline de la gestion d’événements, du protocole et des cérémonies officielles. Que ce soit dans les couloirs du Parlement ou lors de sommets internationaux, elle a toujours fait preuve d’élégance, de discrétion et d’un professionnalisme sans faille.

Manon s’est jointe au Bureau de l’huissier du bâton noir en août 2017 et, depuis, elle a été au cœur de certaines des cérémonies les plus importantes de notre pays.

Sous la direction de l’huissier du bâton noir, elle est rapidement devenue une organisatrice clé de la planification et de l’exécution de l’entrée en fonction des vingt-neuvième et trentième gouverneures générales du Canada et de la présentation de quatre discours du Trône, y compris la récente allocution historique prononcée par Sa Majesté le roi Charles III.

Outre ces jalons pour notre pays, Manon a joué un grand rôle dans le succès d’un nombre incalculable d’événements, petits et grands. Son savoir-faire a été particulièrement utile lors de la transition vers l’édifice du Sénat du Canada et dans l’adaptation des cérémonies du Sénat aux défis posés par la pandémie de COVID-19.

Ce qui a toujours distingué Manon, ce n’est pas seulement l’étendue de ses connaissances, mais aussi l’intégrité, l’humilité et l’excellence dont elle fait preuve dans tout ce qu’elle entreprend. Son souci du détail rigoureux, son sens du protocole sans pareil et sa capacité à rendre harmonieux les moments les plus complexes ont été de véritables cadeaux du ciel pour nous tous.

Ses collègues et le personnel en sont venus à compter sur sa présence constante et son leadership discret. Personne ne le sait mieux que l’huissier du bâton noir, qui lui a rendu hommage en ces termes :

Manon a toujours été une présence constante et rassurante dans l’équipe du Bureau de l’huissier du bâton noir. Elle a joué un rôle essentiel dans le maintien de la continuité au cours des années de changement. Je me souviens encore du jour où nous nous sommes rencontrés, peu de temps avant que je la recrute pour le Sénat. Nous étions alors loin d’imaginer l’incroyable aventure qui nous attendait.

Il est vrai qu’elle me manquera beaucoup et que son absence se fera profondément ressentir. Je salue ses contributions et je lui souhaite une excellente retraite bien méritée.

Manon, vous laissez derrière vous une riche mémoire institutionnelle, le souvenir d’une profonde bienveillance et un grand vide à combler. Vous avez touché ceux qui vous entouraient par votre gentillesse, votre force et votre dévouement discret envers le Sénat. Félicitations pour votre carrière tout à fait exceptionnelle.

L’éboulement près des chutes du glacier Bow

L’honorable Karen Sorensen : Honorables sénateurs, jeudi dernier, les chutes du glacier Bow, dans le parc national Banff, ont été le théâtre d’un éboulement soudain qui a coûté la vie à deux randonneurs et a blessé plusieurs personnes.

La randonnée des chutes du glacier Bow est l’une de mes préférées. Considérée comme une randonnée de difficulté modérée, elle offre un point de vue fort prisé à 37 kilomètres au nord du lac Louise. D’innombrables visiteurs et résidents de Banff se sont déjà tenus à cet endroit précis. N’importe lequel d’entre eux aurait pu être victime de cet événement tragique.

L’une des victimes, Jutta Hinrichs, une éducatrice et professionnelle de la santé chevronnée de 70 ans, était originaire de Calgary. Elle guidait un groupe de randonneurs lorsque l’éboulement s’est produit.

Mme Hinrichs avait été professeure au Département d’ergothérapie de la Faculté de médecine de réadaptation de l’Université de l’Alberta, et ses étudiants gardent le souvenir d’une mentore très appréciée. Elle avait récemment reçu un prix soulignant l’ensemble de sa carrière et ses cinq décennies de service. Elle était aussi reconnue pour son bénévolat au sein d’organisations telles que l’organisme Centraide de Calgary et la Société canadienne de la sclérose en plaques, des activités pour lesquelles elle a reçu la Médaille du jubilé de la reine. C’était une voyageuse et une randonneuse expérimentée, qui aimait explorer les montagnes et guidait régulièrement des randonnées avec le groupe Slow and Steady Hikers.

La deuxième victime, Hamza Benhilal, un ingénieur de 33 ans qui avait quitté le Maroc pour s’installer à Surrey en 2022, était en vacances à Banff avec son colocataire. Dans ses derniers instants, il a sans aucun doute sauvé la vie de son ami. Khaled El Gamal était paralysé par la panique quand Hamza lui a crié de courir pour échapper aux rochers qui tombaient. « Sans lui, je serais resté là, sous le choc », a déclaré M. El Gamal aux médias depuis son lit d’hôpital à Calgary. Il a décrit Hamza comme un homme « très intelligent et très, très généreux », qui avait « beaucoup de rêves et d’ambitions ».

Le Canada a perdu deux personnes accomplies, très aimées de leur famille et de leurs amis, qui ont beaucoup apporté à leur collectivité et qui avaient encore beaucoup à offrir. Mes pensées vont à tous ceux qui les ont connus.

Mes pensées vont également aux blessés et à ceux qui doivent désormais faire face au traumatisme et au chagrin, en plus de leurs blessures physiques.

Un détail m’a particulièrement marquée quand j’ai pris connaissance des rapports sur l’incident : quand ils sont arrivés sur les lieux, les premiers intervenants ont trouvé des survivants qui administraient déjà les premiers soins aux blessés. Je me suis souvenue des dernières paroles de Hamza Benhilal, qu’il a prononcées pour sauver une vie, et de la longue vie de service et de philanthropie de Jutta Hinrichs. Même dans les circonstances les plus difficiles, il y a toujours des gens dont le premier réflexe est d’aider les autres.

Je suis reconnaissante envers Parcs Canada et la Gendarmerie royale du Canada pour leur travail dans la gestion de l’incident et la direction des opérations de recherche et de sauvetage.

Je tiens également à remercier les représentants de Parcs Canada, des forces opérationnelles 1 et 2 de Recherche et sauvetage en milieu urbain à l’aide d’équipement lourd et du Service de police de Calgary, qui ont terminé l’évaluation du site après l’accident.

Le directeur François Masse, de Parcs Canada, a déclaré que de tels glissements de terrain sont extrêmement rares et que cette tragédie n’était ni évitable ni prévisible.

Les régions montagneuses comme le parc national Banff ont l’habitude de faire face aux catastrophes naturelles et ont la chance d’avoir des experts sur place afin d’assurer la sécurité publique. Dans le parc national Banff, nous sommes fiers d’accueillir des visiteurs et de leur offrir une expérience en nature à la fois belle et sûre.

Les catastrophes comme celle-ci ébranlent invariablement notre collectivité, et nous pleurons tous les vies qui ont été perdues.

Le poste du câble de Heart’s Content

L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, avant de commencer, je tiens à m’excuser sincèrement auprès de la Présidente pour l’avoir distraite pendant mon dernier récit, le chapitre 91. Je m’en excuse sincèrement, mais cela a certainement donné lieu à une belle vidéo. Merci, Votre Honneur.

C’est avec plaisir que je présente aujourd’hui le chapitre 92 de « Notre histoire ».

Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est plus connecté qu’il ne l’a jamais été dans notre histoire. Alors que nous pouvons envoyer un message à travers le monde en quelques secondes, suivre l’évolution constante de la technologie est une lutte quotidienne pour beaucoup d’entre nous.

Il est difficile de croire, surtout pour les jeunes générations, qu’il fût un temps où envoyer un message à un ami ou à un membre de sa famille — même ici au Canada — pouvait prendre des jours et, dans certains cas, des semaines.

Il peut aussi être difficile de croire que la petite localité côtière de Heart’s Content, située dans la baie de la Trinité, à Terre-Neuve, est le site de l’une des plus grandes réalisations du monde en matière de communications mondiales.

C’est le 27 juillet 1866 que le plus grand navire à vapeur du monde de l’époque, le Great Eastern, a débarqué à Heart’s Content le premier câble télégraphique sous-marin transatlantique et transocéanique permanent.

Heart’s Content servirait de terminus occidental à ce premier câble, tandis qu’un poste télégraphique jumeau situé dans l’île de Valentia, en Irlande, servirait de terminus oriental.

Les premiers messages ont été transmis en code Morse depuis le poste de Heart’s Content, sous la supervision de trois opérateurs chargés d’envoyer et de recevoir ces messages. À son apogée, l’entreprise de télégraphie employait plus de 200 personnes de la collectivité.

Dans les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale, le trafic télégraphique a commencé à ralentir, et l’installation d’équipements automatisés a pris le dessus. Avec l’émergence de nouvelles technologies, le poste a fermé ses portes en 1965. Il est devenu un musée en 1974 et, la même année, il a été déclaré lieu historique provincial.

Le 20 décembre 2022, le poste du câble de Heart’s Content et celui de l’île de Valentia ont été officiellement soumis à l’UNESCO comme site désigné « Ensemble de câbles transatlantiques », et ils figurent maintenant sur la liste indicative du Canada. Grâce à l’histoire bien documentée de son rôle vital dans les communications mondiales, le poste du câble de Heart’s Content est une destination touristique incontournable de notre province. Aujourd’hui, le site comprend l’immeuble de bureaux construit en 1875 et une rallonge datant de 1918. Au nombre des activités à ne pas manquer, les visiteurs pourront s’initier au code Morse en envoyant leurs propres messages codés ou, encore, explorer le parc Cable, de l’autre côté de la chaussée, et découvrir les vestiges du câble transatlantique — autrefois, le seul lien entre l’Europe et l’Amérique du Nord.

(0920)

C’est donc dans la magnifique collectivité de Heart’s Content qu’a débuté une révolution technologique : celle qui a permis de réduire le temps nécessaire pour transmettre un message de l’autre côté de l’Atlantique, passant de quelques semaines à quelques minutes. Voilà un autre exemple qui montre comment Terre-Neuve-et-Labrador a su tracer la voie à suivre.


AFFAIRES COURANTES

Projet de loi sur l’unité de l’économie canadienne

Le Bureau du Conseil privé—Réponse à la question posée par l’honorable Yuen Pau Woo—Dépôt de document

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, un document au sujet du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada, de la part du Bureau du Conseil privé, en réponse à une question de l’honorable sénateur Woo.

Le Budget des dépenses de 2025-2026

Le Budget principal des dépenses—Dépôt du premier rapport du Comité des finances nationales

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le premier rapport (provisoire) du Comité sénatorial permanent des finances nationales, intitulé Budget principal des dépenses pour l’exercice se terminant le 31 mars 2026. Je propose que l’étude du rapport soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.

(Sur la motion du sénateur Forest, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

[Français]

Le Budget supplémentaire des dépenses (A)—Dépôt du deuxième rapport du Comité des finances nationales

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le deuxième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales, intitulé Budget supplémentaire des dépenses (A) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2026. Je propose que l’étude du rapport soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.

(Sur la motion du sénateur Forest, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)


PÉRIODE DES QUESTIONS

La santé

La crise des surdoses d’opioïdes

L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. En 2024, les décès par surdose ont augmenté de 33 % au Québec. Ce sont maintenant deux personnes qui meurent chaque jour à cause de ce fléau. Les visites à l’urgence liées à l’intoxication aux opioïdes ont aussi augmenté de 38 %. Ces chiffres montrent à quel point la réponse d’Ottawa a été lente, réactive et basée sur des politiques sans vraie responsabilité.

Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas réussi à mettre en place une stratégie nationale claire pour s’attaquer à la crise des opioïdes au Québec, une stratégie visant à réduire concrètement le nombre de surdoses, pas seulement à les gérer?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Merci aussi d’avoir souligné non seulement l’importance de cette question, mais aussi la grande tragédie des décès causés par l’usage du fentanyl et d’autres drogues dangereuses. Le gouvernement du Canada a mis en place un plan extrêmement important pour faire en sorte que nos frontières soient plus robustes face à l’importation de fentanyl et d’autres drogues dangereuses. Selon des statistiques récentes, on a constaté une baisse de l’usage de ces drogues au Canada.

Cela dit, chaque vie est précieuse et chaque vie perdue à cause de l’usage d’opioïdes est une tragédie que l’on doit tous déplorer.

Le sénateur Housakos : Sénateur Gold, cet échec du gouvernement est extraordinaire. Comment pouvez-vous nous garantir que le gouvernement s’engage vraiment à collaborer avec le Québec pour mettre en place une réponse efficace et axée sur les résultats, pas seulement du babillage, une stratégie qui inclut un meilleur suivi, une application des règles et de vrais investissements dans le traitement et la guérison?

Le sénateur Gold : Le gouvernement du Canada travaille en collaboration avec le gouvernement du Québec et les autres provinces et territoires dans leur compétence en matière de santé et dans d’autres domaines pour faire en sorte que les Canadiens et Canadiennes, tout comme les Québécois et Québécoises, soient protégés. Le gouvernement poursuivra d’ailleurs ses efforts à cet égard.

[Traduction]

Les pêches et les océans

La pêche sur la côte Est

L’honorable Fabian Manning : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Monsieur le leader, on raconte que, lorsque John Cabot a découvert Terre-Neuve, en 1497, les paniers descendus à l’eau par l’équipage du Matthew se sont immédiatement remplis de poissons. Quand le Canada a annexé Terre-Neuve, en 1949, le gouvernement de Terre-Neuve a cédé au gouvernement du Canada la responsabilité de gérer la plus grande ressource alimentaire au monde, aux termes des Conditions de l’union, ce qui, à mon humble avis, a constitué une grave erreur.

Au cours des années qui ont suivi, quelle que soit la couleur politique du gouvernement d’Ottawa, les poissons de Terre-Neuve ont servi de monnaie d’échange dans les négociations commerciales et, dans de nombreux cas, ils ont été cédés à des pays étrangers en échange de la création d’emplois dans diverses régions du Canada. C’est ainsi qu’en juillet 1992, John Crosbie a annoncé un moratoire sur la pêche à la morue, ce qui a fait en sorte que, du jour au lendemain, 40 000 Terre-Neuviens ont perdu leur gagne-pain, ce qui équivaudrait à 600 000 Ontariens.

Alors que nous commençons à travailler avec de nouveaux partenaires commerciaux, vu les droits de douane imposés par Donald Trump, le gouvernement peut-il garantir à la population de Terre-Neuve-et-Labrador que leurs poissons ne se retrouveront pas à la table de négociation cette fois-ci et qu’ils ne seront pas sacrifiés pour créer des emplois dans d’autres provinces?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. En tant que représentant du gouvernement au Sénat et ancien vice-président du Comité des pêches et des océans — où j’ai beaucoup appris et où j’ai eu le privilège de travailler avec vous, sénateur Manning —, je peux vous assurer que le gouvernement s’efforcera de protéger tous les secteurs de notre économie et toutes les régions lorsqu’il engagera des discussions avec ses partenaires commerciaux actuels et potentiels.

Je profite également de l’occasion pour souligner que j’ai appris que vous avez été nommé encore une fois président du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Je pense que c’est un record — 14 ans, si je ne me trompe pas, dans la même fonction —, en plus d’être la preuve des qualités que vous possédez pour occuper ce poste. Je l’ai d’ailleurs constaté directement en tant que vice-président. Merci de votre question.

Le sénateur Manning : On croirait entendre le renard parler au corbeau. Le moratoire sur la pêche à la morue de 1992 a non seulement causé la perte de 40 000 emplois du jour au lendemain, mais il a également entraîné la perte d’un mode de vie, d’une partie de notre culture et de notre patrimoine, dont nous, les Terre-Neuviens, sommes si fiers.

Monsieur le leader, demanderez-vous aux membres du gouvernement, à la ministre des Pêches et aux autres ministres concernés, d’inclure Terre-Neuve-et-Labrador dans les discussions lorsqu’il sera à nouveau question du poisson ou de tout autre dossier touchant notre province dans le cadre des négociations?

Le sénateur Gold : Monsieur le sénateur, je serai ravi de le faire, et j’ajouterai à ma demande qu’ils m’envoient à Terre-Neuve, à mes frais, afin de vérifier que c’est bien le cas.

[Français]

La santé

La protection des aînés

L’honorable Marie-Françoise Mégie : Honorables sénateurs, ma toute dernière question dans cette Chambre s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, le journal Le Devoir rapportait que la dernière vague de chaleur a transformé Montréal en fournaise. Le nombre d’appels auprès des ambulanciers paramédicaux d’Urgences-santé liés à des coups de chaleur a connu une hausse importante, surtout lundi dernier, alors que le facteur humidex frôlait les 40 degrés Celsius. Je pense aux aînés que l’on soigne à domicile ou en CHSLD et qui n’ont pas de ventilation adéquate.

Comment le programme fédéral visant à bâtir un Canada plus fort et adapté aux changements climatiques pourrait-il aider nos aînés à vivre dans un environnement plus sain?

(0930)

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question, chère collègue, et je vous remercie également de souligner non seulement l’importance de notre combat collectif contre les changements climatiques, mais aussi l’importance de la résilience et de l’adaptation à cette réalité.

Le Canada dispose d’une Stratégie nationale d’adaptation visant à réduire les risques au sein de tous les ordres de gouvernement, afin que les communautés puissent se défendre contre les pires effets des changements climatiques. Nos aînés et les personnes les plus vulnérables sont dans nos pensées. Le gouvernement continuera de travailler avec les provinces, les territoires et les municipalités pour s’adapter à l’évolution de notre climat et pour mettre en place des mesures en vue de protéger nos citoyens et citoyennes.

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

Le Programme des travailleurs étrangers temporaires

L’honorable Éric Forest : Sénateur Gold, d’entrée de jeu, je vous remercie de votre importante contribution à cette institution pendant votre mandat.

Au moment où l’on tente de trouver un meilleur équilibre entre l’arrivée de nouveaux immigrants et notre capacité d’accueil, le resserrement des conditions du Programme des travailleurs étrangers temporaires commence à se faire sentir. Un sondage mené par l’Union des préfets du Saguenay—Lac-Saint-Jean auprès des entreprises du Saguenay—Lac-Saint-Jean a montré que le tiers des entreprises s’attendaient à perdre des contrats.

Je vous donne un exemple concret : un entrepreneur en construction métallique a mis sur la glace deux projets d’investissements comptant pour un total de 11 millions de dollars, non pas en raison des tarifs américains, mais de l’incertitude entourant la possibilité de garder ses travailleurs étrangers temporaires. Au lieu d’appliquer des politiques uniformes, est-il possible que le gouvernement tienne compte des particularités régionales en ce qui concerne le marché de l’emploi et la capacité d’accueil, comme le suggère l’Union des préfets du Saguenay—Lac-Saint-Jean?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Le gouvernement comprend très bien les défis auxquels font face les entreprises en ce qui a trait à la pénurie de main-d’œuvre. Tous les sénateurs dans cette enceinte doivent aussi comprendre qu’il existe un autre défi : trouver un juste équilibre entre les niveaux d’immigration, peu importe les catégories, et notre capacité de bien accueillir tous ceux et celles qui viennent visiter notre pays, vivre ici ou travailler avec nous. Cela dit, le gouvernement va continuer de travailler avec les provinces pour qu’il y ait une compréhension des besoins spécifiques des provinces et des régions et pour mieux ajuster les politiques gouvernementales en conséquence.

Le sénateur Forest : Selon ce même sondage, deux entreprises sur cinq devront réduire leur capacité de production. Certaines devront même cesser leurs opérations en raison de la non‑disponibilité des travailleurs étrangers temporaires. L’Union des préfets du Saguenay—Lac-Saint-Jean propose des ajustements ciblés aux nouvelles règles, afin notamment de permettre aux employeurs de garder les travailleurs qui sont déjà dans la région. Le gouvernement va-t-il entendre ces propositions afin d’éviter de précariser nos régions?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. Encore une fois, le gouvernement va travailler en étroite collaboration avec les provinces afin de trouver l’équilibre nécessaire pour faire venir les immigrants dont nous avons besoin de manière adéquate et juste.

[Traduction]

La défense nationale

Le soutien aux Forces armées canadiennes

L’honorable Rebecca Patterson : Sénateur Gold, permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour les services que vous avez rendus au Sénat, au gouvernement et, surtout, aux Canadiens. Même si je ne sais pas vraiment si vous avez hâte de prendre votre retraite, nous pouvons au moins dire qu’après cette semaine, vous ne regretterez peut-être pas de ne plus participer aux trépidations de la période des questions.

Ma question porte sur l’annonce faite le 9 juin par le premier ministre concernant l’augmentation des dépenses en matière de défense. Vu l’information technique fournie par des responsables lors d’une séance ce jour-là et vu les observations formulées le lendemain par le ministre McGuinty, il semblait que le gouvernement du Canada s’était engagé à accorder une augmentation de salaire de 20 % aux membres des Forces armées canadiennes, et je peux vous dire que les personnes qui portent l’uniforme étaient ravies de cette nouvelle.

N’oubliez pas que les mots ont leur importance.

Je dis « semblait », parce que les observations ultérieures des responsables et d’autres agents du ministère de la Défense nationale ont un peu brouillé les cartes. Les médias nous apprennent maintenant que l’augmentation de 20 % est un chiffre global basé sur des facteurs comme les indemnités spéciales, les avantages sociaux, etc. Les membres des Forces armées canadiennes s’inquiètent.

Sénateur Gold, pouvez-vous nous préciser ce que signifie ce chiffre de 20 %, d’autant que les sénateurs vont voter sur une enveloppe de 9 milliards de dollars pour la défense...

Son Honneur la Présidente : Merci, sénatrice Patterson.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour votre question. Le gouvernement a effectivement pris cet engagement. Il s’est également engagé à investir 2,6 milliards de dollars, à la fois selon la comptabilité de caisse et selon la comptabilité d’exercice, afin de permettre aux forces armées de recruter et de maintenir en poste le personnel nécessaire à la réalisation de son important mandat.

Le plan du gouvernement consiste à accélérer le processus de recrutement et à améliorer le maintien en poste pour porter l’effectif des Forces armées canadiennes à 71 500 membres de la Force régulière et à 30 000 membres de la Première réserve d’ici 2030, 13 000 membres de la Force régulière et de la Première réserve étant nécessaires pour atteindre cet objectif. Cela comprendrait des investissements dans les efforts de recrutement et de maintien en poste afin de s’assurer que les Forces armées canadiennes disposent du personnel nécessaire pour être prêtes à réagir efficacement aux menaces au pays et, soulignons-le, à intervenir de manière importante à l’étranger. Le gouvernement nous en apprendra davantage à ce sujet au cours des prochaines semaines.

Le Cabinet du premier ministre

Les nominations au Sénat

L’honorable Andrew Cardozo : J’aimerais poser une question au représentant du gouvernement. Sénateur Gold, comme vous êtes musicien et vous aimez jouer de la guitare, je me demande de quel artiste vous allez vous inspirer à partir de la semaine prochaine.

Ce sera peut-être Otis Redding, qui chante :

Assis sur le quai de la baie

J’observe le mouvement des marées

Assis sur le quai de la baie

Je laisse le temps s’écouler

Ou alors ce pourrait être Zero Mostel, qui chante :

Ah, si j’étais riche [...]

Tous les jours, je bidi bidi bom

Si j’étais cousu d’or

Je travaillerais moins fort

À moins que ce soit Johnny PayCheck, qui chante :

Tu ferais mieux de t’ôter de mon chemin

Si tu ne veux pas que je parte, je m’en balance

Ce boulot, je n’en ai plus besoin

Et tu peux te le mettre où je pense

Choisirez-vous plutôt la chanson Dance me to the end of love, de Leonard Cohen?

Sénateur Gold, quelle sera votre chanson thème?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Vous avez nommé nombre de mes artistes préférés. Je ne pense pas que je n’aurai qu’une seule chanson thème. C’est une belle façon de terminer cette session.

Il y a quelques jours à peine, Nancy et moi sommes allés voir Mavis Staples, ici même, à Ottawa. Je l’aime depuis l’époque où elle était chanteuse gospel, avant qu’elle passe à la chanson populaire. Mon épouse l’a vue et l’a même rencontrée en 1978. Elle était incroyable.

Cela peut sembler un peu égocentrique, et j’espère que vous me pardonnerez, mais je pense que ma chanson thème sera Respect Yourself, car je crois que tous devraient se respecter, que ce soit dans le cadre de leur vie professionnelle ou dans ce qu’ils entreprendront par la suite. Merci de votre question.

Le sénateur Cardozo : Sénateur Gold, si vous vous surprenez à jouer Knockin’ on Heaven’s Door de Bob Dylan, je vous en prie, éloignez-vous de votre guitare, prenez votre épouse, Nancy, par la main, empressez-vous de monter dans votre voiture et revenez ici, à l’édifice du Sénat du Canada. Nous pouvons vous aider.

Ceci étant dit, voici ce que je tiens à vous dire, à vous et aux sénatrices Mégie et Seidman :

[Français]

La chanson que je vous chanterais est la suivante :

Gens du pays, c’est votre tour

De vous laisser parler d’amour.

Gens du pays, c’est votre tour

De vous laisser parler d’amour.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Gold : Permettez-moi d’intervenir un instant en mémoire du regretté leader du groupe Harmonium.

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, est-ce que vous m’avez accordé le consentement de ne pas intervenir?

[Traduction]

L’industrie

Le statut d’organisme à but non lucratif

L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : Monsieur le leader du gouvernement, comme je l’ai mentionné dans notre échange hier, Samidoun demeure un organisme à but non lucratif enregistré auprès du gouvernement fédéral malgré sa désignation à titre d’entité terroriste. Bien que vous ayez fait remarquer qu’il appartient à l’Agence du revenu du Canada de réglementer le statut des organismes de bienfaisance, c’est Corporations Canada, un organisme qui relève d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada, qui supervise la constitution en société et le statut juridique des entités à but non lucratif. Pouvez-vous confirmer si Innovation, Sciences et Développement économique Canada ou Corporations Canada ont le pouvoir de suspendre ou de dissoudre la constitution, en vertu d’une loi fédérale, d’un organisme à but non lucratif une fois que ce dernier est désigné groupe terroriste? Pourquoi le gouvernement ne fait-il rien à cet égard?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour votre question. J’ignore quelle est la réponse, mais je sais que la chose a été soulevée auprès du gouvernement et que celui-ci se penche là-dessus.

(0940)

Le sénateur Housakos : Sénateur Gold, nous avons besoin de mesures. Nous n’avons pas besoin que le gouvernement se penche sur la situation. La ministre responsable d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada, ou ISDE, est Mélanie Joly, la même ministre qui, à titre de ministre des Affaires étrangères, a retardé l’inscription de Samidoun sur la liste des entités terroristes pendant des années. Si ISDE a le pouvoir de prendre des mesures contre les organismes à but non lucratif liés au terrorisme, mais qu’il ne le fait pas, cela ne représente-t-il pas un échec de l’application ou un manque de volonté politique? Le gouvernement va-t-il clairement demander à ISDE de réévaluer ses responsabilités en la matière et de prendre des mesures dès que possible?

Le sénateur Gold : Comme je l’ai dit, sénateur, je vous remercie de votre question. Je crois comprendre que le gouvernement a été informé de la situation et qu’il fera une annonce appropriée lorsqu’il aura pris une décision.

La réglementation de l’intelligence artificielle

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Sénateur Gold, j’espère que vous profitez de votre dernière période des questions, de chaque question et de chaque réponse, et je vous félicite pour les services distingués que vous avez rendus au Sénat et au Canada.

Voici maintenant ma question : le ministre de l’Intelligence artificielle est censé protéger l’intérêt public contre l’une des technologies les plus puissantes de notre époque. Or, selon un article paru récemment dans le Globe and Mail, le ministre semble plutôt préférer agir comme le champion des sociétés d’intelligence artificielle, ou IA, en vantant les mérites des centres de données et de la monétisation de l’IA tout en minimisant le besoin urgent de réglementation. Les Canadiens s’inquiètent à juste titre des risques que l’IA fait peser sur leur vie privée, la sécurité nationale et le réseau énergétique.

Quand le gouvernement cessera-t-il de se faire le champion des grandes entreprises technologiques et commencera-t-il à appliquer des règles strictes et transparentes pour protéger les Canadiens contre les véritables préjudices de l’IA?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question et de vos bons mots, madame la sénatrice.

Le gouvernement est fier que M. Solomon soit le ministre responsable de ce dossier. Il met son talent, ses compétences et son expérience considérables au service de ce poste.

Il est nécessaire de trouver les mesures appropriées et le juste équilibre pour réglementer cet outil extrêmement important, omniprésent et en pleine croissance, tout en protégeant les intérêts et les droits des Canadiens en matière de vie privée. Le ministre Solomon s’occupe de cette question, tout comme le gouvernement.

Le gouvernement se fait parfois critiquer pour être à la botte des grandes entreprises technologiques, puis il se fait calomnier pour s’être attaqué à elles, comme nous l’avons constaté au Sénat. Nous ferons notre travail. Le gouvernement fera son travail.

La sénatrice Martin : Le gouvernement s’engagera-t-il à publier un échéancier précis pour mettre en œuvre des mesures réglementaires liées au développement de l’intelligence artificielle pour protéger la confidentialité, la sécurité et l’environnement, afin que les Canadiens puissent avoir l’assurance que l’innovation ne devancera pas les mesures de protection du public?

Le sénateur Gold : Le gouvernement prend très au sérieux les défis liés à la présence omniprésente et croissante de l’intelligence artificielle dans tous les aspects de notre vie; ces défis sont énormes et ils ne touchent pas seulement notre pays. Le gouvernement va continuer de s’acquitter de cette tâche avec diligence en tenant compte de l’intérêt supérieur des Canadiens.

[Français]

L’emploi et le développement social

La Stratégie nationale sur le logement

L’honorable Suze Youance : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Le 7 mars dernier, le gouvernement fédéral a dévoilé des modèles de conception faisant partie du Catalogue de conception de logements. De plus, le 31 mars dernier, au moment de la campagne électorale, le premier ministre actuel a déclaré qu’un gouvernement libéral « bâtirait plus de résidences abordables », avec le « plan de logement le plus ambitieux du Canada depuis la Seconde Guerre mondiale ».

On a promis de doubler le taux de construction résidentielle pour atteindre 500 000 logements par an.

Créer Maisons Canada (MC) doit ramener le gouvernement canadien dans le secteur de la construction résidentielle et « agir en tant que promoteur pour bâtir des logements abordables à grande échelle, y compris sur des terrains publics ».

Quand les premiers logements abordables du gouvernement seront-ils mis en vente auprès de la population canadienne?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice. Bien que je ne puisse pas vous donner de date exacte pour le moment, je sais que ce travail est en cours et que ce gouvernement a un plan crédible et ambitieux pour résoudre la crise du logement.

Outre le retour du gouvernement fédéral dans le secteur de la construction de logements abordables en tant que promoteur, le gouvernement réduit également la TPS pour les acheteurs de premier logement et divise par deux les frais de développement municipaux pour les constructions de logements collectifs. Ces mesures s’appuient sur les accords conclus dans le cadre du Fonds pour accélérer la construction de logements avec près de 200 collectivités partout au pays pour débloquer la construction de trois quarts de million de logements.

La sénatrice Youance : La hausse des dépenses militaires au Canada doit atteindre 5 % du PIB. Qu’est-ce qui est prévu au pays pour mieux loger nos militaires et nos vétérans?

Le sénateur Gold : Merci pour votre question. Ce travail est déjà en cours dans le cadre de Notre Nord, fort et libre. Il s’agit d’un financement supplémentaire de 1,4 milliard de dollars qui ont été alloués pour construire 1 400 unités de logement résidentiel et rénover 2 500 logements partout au Canada, ce qui permettra à l’Agence de logement des Forces canadiennes d’accélérer la construction de nouvelles unités de logement résidentiel.

[Traduction]

Le patrimoine canadien

Le contenu canadien

L’honorable Tony Loffreda : Sénateur Gold, quel honneur — je crois que c’est votre dernière période des questions dans cette enceinte. Je tiens à vous remercier de votre service exceptionnel. Merci beaucoup.

Mardi prochain, nous soulignerons la fête du Canada. À cette occasion, des artistes talentueux seront à l’œuvre pour mettre en valeur notre culture et notre identité. Ici, à Ottawa, les festivités incluront une liste prestigieuse d’icônes canadiennes : Randy Bachman, Roch Voisine, Sarah McLachlan, Édith Butler, Mitsou et de nombreux musiciens de la relève qui représenteront de nombreuses régions de notre pays. Bon nombre de ces nouveaux artistes ont besoin d’avoir accès à des possibilités qui leur permettent de s’épanouir et de rejoindre de nouveaux publics. Quel est le plan du gouvernement pour soutenir l’industrie musicale canadienne? Comment mettra-t-il en place les conditions propices à la croissance de l’industrie et à la mise en valeur du contenu canadien?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour votre question et pour vos aimables paroles, sénateur Loffreda.

Comme nous le savons, la façon dont nous nous approprions la culture en général, les médias et la musique évolue constamment. Toutefois, l’objectif du gouvernement demeure inébranlable : célébrer l’identité et la culture canadiennes tout en soutenant les créateurs de talent. Grâce au projet de loi C-11, qui garantit que les plateformes contribuent à la création, à la promotion et à la distribution de notre musique et de notre culture, le gouvernement précédent a inauguré la première modernisation de la Loi sur la radiodiffusion depuis le début de l’ère numérique. Il est plus que jamais nécessaire de continuer à mettre en valeur le contenu canadien et de veiller à ce qu’il soit accessible aux Canadiens. Le gouvernement actuel continuera de travailler main dans la main avec tous ses partenaires. Il demeurera persuadé que d’offrir davantage de contenu canadien aux consommateurs d’ici et d’ailleurs est bénéfique pour tous, même pour les vieux guitaristes comme moi.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie de votre réponse. À l’instar de l’hymne officieux du Canada anglais, je tiens à vous exprimer ma gratitude, sénateur Gold, pour vous être occupé de la business et avoir travaillé, je n’en ai aucun doute, sans compter les heures pendant toutes ces années. Vous nous manquerez. Merci pour la façon exceptionnelle dont vous vous êtes acquitté de vos fonctions.

Cela dit, comme vous êtes un musicien accompli, capable de jouer des notes fortes ou délicates comme BTO, et puisque c’est notre dernier échange, je dois savoir qui est votre artiste préféré : les Beatles ou les Stones? Céline, Shania ou Alanis? BTO ou The Guess Who?

Le sénateur Gold : C’est une question injuste. Cependant, je me souviens de The Guess Who avant qu’ils ne deviennent The Guess Who, lorsqu’ils s’appelaient Chad Allan & The Expressions.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Nous sommes fixés.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Gold : Les Beatles m’ont donné envie d’acheter ma première guitare électrique, mais aujourd’hui, j’écoute davantage les Stones que les Beatles. Je ne me souviens plus du nom de l’autre, mais j’aimais bien Alanis Morrisette. Shania Twain est toujours aussi formidable. Je pourrais en citer d’autres si j’avais le temps.

Une voix : Rum Ragged.

Des voix : Bravo!

[Français]

Le soutien à la culture acadienne

L’honorable Réjean Aucoin : Sénateur Gold, c’est avec amour que je vais poser mes questions. Je vous adresse mes félicitations et je vous remercie pour tout.

Grâce au financement annuel de 500 000 $ du ministère du Patrimoine canadien, la Fête nationale de l’Acadie a connu un essor remarquable, avec plus de 250 activités d’un océan à l’autre, y compris dans des communautés historiquement exclues ou des collectivités anglophones. Malgré ce succès, la fête demeure exclue du programme Le Canada en fête, qui offre pourtant un financement stable à d’autres grandes célébrations nationales.

(0950)

En 2024, un appui ponctuel sur trois ans a été accordé à long terme, mais il est garanti seulement jusqu’en 2026. Puisqu’il sait que le 15 août remplit pleinement les critères de ce programme, pourquoi le gouvernement hésite-t-il encore à y intégrer officiellement la Fête nationale de l’Acadie et à accorder à cette fête le financement stable et la reconnaissance qu’elle mérite, au même titre que d’autres fêtes nationales?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Comme vous l’avez bien noté, il existe actuellement du financement pour la Fête nationale de l’Acadie. Il s’agit d’un financement important, qui permet de reconnaître la contribution culturelle des Acadiens, leur présence historique sur le territoire et leur spécificité culturelle dans toute sa diversité. Je suis convaincu qu’une fois que le financement actuel arrivera à échéance, le gouvernement examinera attentivement les possibilités de financement de la Fête nationale de l’Acadie à l’avenir.

Le sénateur Aucoin : Depuis 2009, la diffusion nationale du spectacle du 15 août par Radio-Canada joue un rôle clé pour le rayonnement de la culture acadienne. Cependant, en 2024, la diffusion a été annulée, puis rétablie à la suite de pressions et grâce à un financement ponctuel.

En 2025, c’est la Société nationale de l’Acadie qui assumera seule la production avec un budget insuffisant. Le gouvernement entend-il garantir un soutien stable et durable pour assurer la qualité et la pérennité de cette émission emblématique pour l’Acadie?

Le sénateur Gold : Je vous remercie d’avoir soulevé ce problème important. Je ne suis pas en mesure de spéculer sur les annonces futures de financement, mais je suis convaincu que le gouvernement examinera attentivement les possibilités de financement de ce spectacle important.

[Traduction]

Le commerce international

Les droits de douane

L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : Sénateur Gold, l’industrie sidérurgique canadienne est en crise. Avec le doublement des droits de douane américains, qui atteignent désormais 50 %, la production est en baisse et davantage de travailleurs canadiens risquent d’être licenciés. Pourtant, la réponse du gouvernement — un plan de contre-mesures tarifaires retardé et lié à des négociations commerciales incertaines — a été qualifiée d’insuffisante par les dirigeants du secteur.

En mars dernier, sous la menace de ces mêmes droits de douane, le premier ministre Mark Carney a déclaré que son gouvernement était prêt à réagir rapidement. Si tel est le cas, pourquoi ne se montre-t-il pas à la hauteur pour l’industrie sidérurgique canadienne? Pourquoi ne prend-il pas les mesures commerciales et les mesures de soutien rapides dont les autres travailleurs ont besoin de toute urgence?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question et de souligner les défis auxquels font face les travailleurs de l’industrie sidérurgique et tant d’autres travailleurs et industries, étant donné les droits de douane qui ont été injustement imposés et l’incertitude qui persiste quant à la manière dont ces questions seront finalement résolues.

Le gouvernement travaille avec beaucoup de diligence, de prudence et d’assiduité pour régler toutes ces questions, notamment la suppression des droits de douane et la mise en place de mesures de soutien adéquates pour aider nos industries.

Il ne se passe pas un jour sans que le premier ministre et ses ministres ne se penchent sur ce dossier. Ils continueront de le faire, et nous espérons que la situation se stabilisera et s’améliorera dans l’intérêt des travailleurs, des entreprises et des familles du Canada.

Le sénateur Housakos : Je peux affirmer que le gouvernement actuel ne travaille pas très efficacement pour les travailleurs du secteur de l’acier. Lorsque le premier ministre a demandé avec dédain en janvier dernier quelles quantités d’acier on utilisait, au juste, les travailleurs de l’acier et les Canadiens ont entendu un autre message.

Rappelons qu’il s’agit d’une industrie de 15 milliards de dollars qui produit 12 millions de tonnes par an. Elle emploie 23 000 personnes directement et 100 000 autres personnes en dépendent. Des usines d’une importance vitale sont situées dans des villes comme Hamilton et Sault Ste. Marie.

Le gouvernement montrera-t-il qu’il comprend vraiment les enjeux, imposera-t-il immédiatement des contre-mesures tarifaires aux États-Unis et bloquera-t-il le dumping d’acier au Canada fait par des contrevenants qui enfreignent les règles commerciales à répétition?

Le sénateur Gold : Le premier ministre a été très clair sur toutes ces questions.

Il a aussi clairement indiqué que, tant pour l’augmentation des investissements dans le domaine de la défense que pour la mise en œuvre des projets d’intérêt national, il faut veiller à ce que les entreprises et les fabricants canadiens, y compris ceux des secteurs de l’acier et de l’aluminium, soient pleinement mis à contribution pour soutenir la croissance de l’économie et de la défense du Canada.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi sur l’unité de l’économie canadienne

Troisième lecture—Débat

L’honorable Hassan Yussuff propose que le projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, si je donne l’impression d’un disque rayé aujourd’hui, ce n’est pas parce que votre ouïe est défaillante, mais parce que je risque de répéter certains des propos que j’ai tenus hier. Dans le contexte de ce débat, il est important, alors que nous arrivons à la fin, de réfléchir au projet de loi. Je vous rappellerai encore une fois que les hommes et les femmes qui ont bâti notre grand pays observent de très près les mesures que nous prendrons à l’égard de ce projet de loi important.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à titre de parrain du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.

Chers collègues, il n’est pas surprenant qu’un projet de loi aussi important que le projet de loi C-5 ait reçu autant d’attention, et c’est normal. Les Canadiens se préoccupent beaucoup de la prospérité et de l’avenir de leur pays. Il nous appartient d’intégrer cette passion dans le travail que nous accomplissons dans ce lieu important.

Je suis fier de dire que je considère que nous y sommes parvenus. Ce travail transparaît dans les amendements adoptés à l’autre endroit et dans les éclaircissements que nous avons reçus de la part du ministre responsable.

Pour de nombreux Canadiens, cette année a été marquée par l’incertitude et la peur. La décision des États-Unis de lancer une guerre commerciale injustifiée contre nous a amené le gouvernement à se concentrer sur deux priorités : l’élimination des obstacles au commerce et la promotion de projets d’intérêt national à un rythme sans précédent.

Le projet de loi C-5 constitue une étape importante dans cette démarche. Il vise à libérer le potentiel de ce que le Canada peut offrir à ses citoyens et au reste du monde. Il s’agit de renforcer notre économie nationale en modernisant la façon dont nous faisons circuler les biens, les services et les gens au Canada. Il s’agit de mener à bien des projets d’intérêt national et, surtout, de le faire de manière à ce que tous les Canadiens, d’un océan à l’autre, puissent en bénéficier.

Le projet de loi C-5 comporte deux parties importantes : la première partie, la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, est conçue pour éliminer les obstacles obsolètes qui empêchent les Canadiens de travailler là où les besoins sont les plus importants, de faire des affaires les uns avec les autres et de bâtir une économie nationale véritablement unifiée.

La deuxième partie facilite la réalisation des projets d’intérêt national dont le Canada a besoin, comme les chemins de fer, les aéroports, les ports, les pipelines, et ainsi de suite. Cette partie met l’accent sur les projets ayant la plus forte probabilité de mise en œuvre réussie, et elle facilite leur réalisation sans sacrifier nos obligations envers l’environnement et envers les peuples autochtones avec qui nous partageons le territoire.

Les problèmes que nous avons en ce qui a trait au commerce interprovincial et à la mobilité de la main-d’œuvre sont considérables. Le commerce intérieur représente près d’un cinquième de l’ensemble de l’économie canadienne, soit environ 530 milliards de dollars en biens et services. Cela concerne des millions de travailleurs, d’entrepreneurs et d’employeurs locaux, qui sont lésés par notre inaction de longue date face à cet enchevêtrement complexe de règles redondantes, d’incohérences réglementaires et d’impasses administratives. Si les efforts visant à éliminer les obstacles au commerce interprovincial se révèlent fructueux — et le projet de loi C-5 en est un élément clé — nous pourrions augmenter notre PIB de 200 milliards de dollars.

Ces obstacles existent depuis longtemps et, comme je l’ai dit lors de la deuxième lecture, ils ont eu une utilité pour les premiers ministres provinciaux qui les ont mis en place, une utilité liée aux circonstances de l’époque. En 2017, le gouvernement fédéral et les 13 provinces et territoires ont signé l’Accord de libre-échange canadien, ou ALEC, avec la ferme intention de régler ce problème et de faire tomber ces barrières. Malheureusement, étant donné les cent et quelques pages de dérogations possibles annexées à l’accord, les barrières sont en grande partie restées intactes.

(1000)

C’est précisément la raison pour laquelle j’ai été très encouragé par la rencontre des premiers ministres qui a eu lieu plus tôt ce mois-ci, à Saskatoon. Les premiers ministres libéraux, conservateurs et néo-démocrates qui se sont réunis avaient un objectif commun : renforcer et unifier l’économie canadienne sans nuire à l’objectif de ces efforts. Les premiers ministres ont donc demandé à leurs ministres de conclure un accord de reconnaissance mutuelle complet d’ici décembre prochain, et ils se sont entendus pour adopter une norme de 30 jours pour la reconnaissance des titres de compétences pancanadiens et pour étendre rapidement la reconnaissance mutuelle dans le secteur du camionnage. Les provinces sont d’accord. La Nouvelle-Écosse, la Colombie-Britannique, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard, l’Ontario, le Manitoba et le Québec ont adopté des dispositions législatives visant la reconnaissance mutuelle à l’égard des biens et l’accélération de la mobilité de la main-d’œuvre sur le territoire des provinces visées par la reconnaissance mutuelle.

Le gouvernement fédéral apporte aussi sa contribution. Depuis 2017, il a supprimé près de 70 % des exceptions prévues dans l’Accord de libre-échange canadien, et il a présenté le projet de loi dont nous sommes saisis pour faire avancer les choses et éliminer les obstacles que le gouvernement fédéral peut enlever. Cet effort pour éliminer les obstacles au commerce interprovincial exige un leadership fédéral coordonné afin d’unifier les efforts des provinces et de transformer nos économies provinciales et territoriales fragmentées en une économie nationale unifiée grâce à la collaboration et au respect de toutes les compétences concernées.

Chers collègues, soyons clairs. Le projet de loi C-5 ne mine pas les pouvoirs des provinces; il les respecte. Il offre un modèle renouvelé d’intervention fédérale, un modèle fondé sur le partenariat et la reconnaissance mutuelle, conçu pour simplifier le système et faire en sorte que les choses fonctionnent plus efficacement pour tous dans notre pays.

Ce projet de loi propose un cadre dans lequel le gouvernement fédéral reconnaîtra les titres de compétences obtenus dans les provinces et les territoires sans imposer d’exigences supplémentaires. Dans la pratique, cela n’aura d’incidence que sur un petit nombre de professions, car il n’y a pas beaucoup de chevauchements à cet égard. Cependant, il fournit un modèle qui pourrait être utilisé par nos partenaires provinciaux et territoriaux dans le cadre de leurs efforts visant à mettre en œuvre l’engagement pris par les premiers ministres d’atteindre une norme de service de 30 jours pour la reconnaissance des titres de compétences.

Le projet de loi C-5 permettra de prendre des mesures concrètes pour rendre le marché intérieur du Canada plus harmonisé et plus unifié. Il établira un cadre pour la reconnaissance mutuelle des biens et des services, de sorte que si un produit répond à la norme d’une province et que cette norme est comparable, il sera accepté au fédéral. On permettra ainsi de réduire les redondances, d’atténuer les tracasseries administratives et d’ouvrir des débouchés aux entreprises de tout le pays. Il en résultera des entreprises plus vigoureuses, des coûts moins élevés pour les consommateurs, des salaires plus élevés pour les travailleurs et une économie qui tirera pleinement parti de son potentiel.

Les objectifs de la partie 1 du projet de loi vont de pair avec ceux de la partie 2, intitulée Loi visant à bâtir le Canada. Essentiellement, la partie 2 du projet de loi vise à accélérer la mise en œuvre des projets d’intérêt national, qui prend actuellement plus de cinq ans, tout en maintenant les normes les plus élevées en matière de transparence, de responsabilité et de respect de l’environnement, ainsi qu’à l’égard des peuples autochtones avec lesquels nous partageons le territoire.

La partie du projet de loi intitulée « Loi visant à bâtir le Canada » prévoit cinq critères que le gouverneur en conseil peut prendre en considération pour déterminer si un projet est dans l’intérêt national : s’il renforce l’économie, la résilience et la sécurité du Canada; s’il procure des avantages économiques ou autres aux Canadiens; s’il a de fortes chances d’être réalisé; s’il promeut les intérêts des peuples autochtones; et s’il contribue à une croissance propre et aux objectifs du Canada en matière de changements climatiques.

Cette partie du projet de loi met l’accent sur la nécessité de concrétiser des projets rapidement et efficacement sans sacrifier les normes environnementales ni renoncer à la consultation sérieuse et continue des peuples autochtones. Les projets d’édification nationale ne seront mis en œuvre qu’après que les voix des Autochtones auront été entendues, dans un esprit de véritable partenariat entre nations. Les droits des peuples autochtones garantis par l’article 35 sont reconnus par la Constitution et respectés dans le cadre de cette mesure législative.

Bien que le projet de loi permette, à mon avis, d’accomplir beaucoup de bonnes choses, il est également important d’expliquer ce qu’il ne fait pas. Le projet de loi C-5 ne passe en aucun cas outre à la compétence des provinces, qui sont maîtresses de leurs propres affaires. Il permet plutôt au gouvernement fédéral de se retirer lorsque ses exigences sont redondantes. Le projet de loi C-5 ne supprime pas non plus la surveillance environnementale et l’intégrité réglementaire, contrairement à ce qui a été suggéré à plusieurs reprises. Les projets d’édification nationale visés par la partie intitulée « Loi visant à bâtir le Canada » continueront de faire l’objet d’examens environnementaux rigoureux et de s’appuyer sur les données scientifiques les plus fiables et les contributions locales. Ils ne seront pas réalisés au détriment de la terre, des eaux et de l’air dont nous sommes si fiers.

Presque depuis le début de l’année, les Canadiens se demandent ce qu’il faut faire maintenant, alors que le monde où nous vivons est complètement chamboulé. Ils se tournent vers leurs dirigeants, et nous devons répondre à leurs attentes. Sans avoir toutes les réponses, j’en ai une importante : il faut bâtir un Canada meilleur. Il faut faciliter la réalisation de projets qui créent des emplois de qualité et qui offrent des salaires décents et l’espoir d’un avenir meilleur pour les Canadiens, tout en veillant à ne pas sacrifier les valeurs fondamentales qui font de nous des Canadiens, comme le respect de l’environnement et le respect des peuples autochtones avec qui nous partageons ce grand pays.

Dans ce contexte où beaucoup de Canadiens ressentent du stress et de l’anxiété quand ils pensent à l’avenir, je crois que le projet de loi C-5 apporte un réconfort plus que nécessaire, car il montre que le gouvernement est déterminé à assurer une prospérité durable à tous les Canadiens, qu’ils travaillent sur les plateformes pétrolières ou dans les mines, qu’ils soient pêcheurs ou ouvriers, travaillent à la fabrication d’automobiles ou dans une aciérie. Ce projet de loi vise à susciter l’espoir dans notre avenir collectif.

Chers sénateurs, l’avenir de nos collectivités est entre nos mains. Les générations qui nous ont précédés ont construit les routes, les chemins de fer, les ports, les industries et les cadres juridiques qui nous ont permis d’arriver jusqu’ici. Ce projet de loi ouvre la voie à une prospérité économique autosuffisante pour le Canada, ce qui nous permettra de bâtir un avenir où tous les Canadiens pourront dormir sur leurs deux oreilles.

Hier soir, au moment de me coucher, j’ai pensé au camionneur qui a pris le volant de son semi-remorque à minuit pour conduire pendant 16 heures d’un coin à l’autre du pays afin de livrer des marchandises pour nous, les Canadiens, et qui ne sait pas exactement s’il aura une vie meilleure si nous adoptons ce projet de loi. Pensez aux travailleurs du secteur de l’automobile licenciés en Ontario sans qu’ils y soient pour quoi que ce soit, à cause des droits de douane imposés par les États-Unis. Pensez aux sidérurgistes dont l’usine a fermé à cause des droits de douane de 25 % imposés à leur industrie, ou encore aux travailleurs de l’aluminium qui ne peuvent plus aller travailler parce que leur usine est à l’arrêt. Pensez aux aciéries d’Hamilton qui viennent d’être fermées parce qu’elles ne peuvent plus expédier leurs produits aux États-Unis et qu’elles n’ont donc plus de raison d’être.

Je pourrais parler longuement des hommes et des femmes qui sont touchés par les mesures commerciales prises par notre ami et allié le plus proche, mais comme on dit, ce n’est pas en se lamentant qu’on résout les problèmes. Ce projet de loi vise à reprendre en main tout ce qui est possible afin de rendre notre pays meilleur. Il est dans l’intérêt des millions de travailleurs qui ont voté lors des dernières élections dans l’espoir que nous ferions mieux. Ce projet de loi vise à respecter cet engagement. Les travailleurs ont envoyé leurs élus au Parlement dans l’espoir qu’ils feront mieux en leur nom.

Chers collègues, je tiens à remercier chacun de vous pour le travail que nous avons accompli en comité plénier. Votre travail a permis d’améliorer ce projet de loi. Je tiens également à remercier les témoins qui ont pris le temps de venir nous faire part de leur point de vue. Leur contribution a été extrêmement précieuse pour la mise au point du projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui, car nos collègues de l’autre endroit ont apporté à celui‑ci un certain nombre d’amendements qui l’ont considérablement amélioré.

(1010)

Honorables sénateurs, je vous invite à appuyer avec moi le projet de loi C-5, une mesure qui bénéficie de l’appui de tous les premiers ministres provinciaux et territoriaux du pays, sans exception, et qui a été adopté de façon retentissante par la Chambre élue, conformément au mandat que lui a confié une énorme majorité de Canadiens. Vous avez maintenant l’occasion de créer un Canada plus fort, plus uni et plus prospère. C’est à vous de jouer. Je vous demande d’appuyer ce projet de loi. Merci beaucoup.

[Français]

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Sénateur Yussuff, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Yussuff : Oui.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie pour votre discours qui vient du cœur, sénateur Yussuff.

J’ai une question technique à vous poser; j’en ai parlé hier dans mon discours et cela concerne l’amendement touchant le Québec.

Dans cet amendement, on mentionne qu’on demandera le consentement écrit du Québec quand un projet national touchera un domaine de compétence provinciale exclusive; c’est très clair dans l’amendement. Cela dit, qu’arrivera-t-il si le projet en question touche des intérêts relatifs à des compétences partagées, comme l’environnement? On sait qu’il y a plusieurs compétences partagées entre le gouvernement fédéral et le Québec. Dans ce cas, le gouvernement fédéral ira-t-il de l’avant, ou demandera-t-il un consentement écrit?

[Traduction]

Le sénateur Yussuff : Merci beaucoup. Il va sans dire que l’avis des administrations provinciales concernées est essentiel à l’approbation de tout projet fédéral au Canada. Les délibérations des premiers ministres provinciaux ont clairement établi que ces derniers souhaitent réaliser des projets nationaux sans pour autant renoncer à leurs propres compétences en cours de route. Au Québec, cela n’a pas été clarifié. Toutefois, en ce qui concerne les réglementations environnementales au Québec et à l’échelon fédéral, les deux gouvernements devront s’entendre sur la manière dont les projets seront menés, sachant que chaque administration a des normes qui diffèrent de celles de l’autre.

Dans le contexte de la poursuite de ce projet, la compétence n’est pas compromise, mais on a l’assurance que les deux gouvernements travailleront de concert. À moins que ces projets n’aient un certain degré de certitude quant à leur mise en œuvre, on s’entend pour dire que le gouvernement fédéral les laissera tomber, car ils seront bloqués devant les tribunaux en raison de différends juridiques entre la province concernée et le gouvernement fédéral.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous ne répondez pas précisément à ma question, donc j’imagine que vous considérez que tout cela va se faire au moment des négociations.

J’aimerais savoir ceci : on a dit que cela se ferait de façon automatique, mais est-ce que ce n’est pas forcément dans le projet de loi? Lorsque le Québec demandera de faire l’évaluation gouvernementale d’un projet, l’évaluation gouvernementale du gouvernement fédéral s’ajoutera-t-elle au processus, ce qui pourrait prolonger les délais? Est-ce que l’on considérera que l’évaluation environnementale du Québec — on sait que ces évaluations sont très poussées — sera suffisante pour lancer un projet?

[Traduction]

Le sénateur Yussuff : Merci encore de me poser la question. Je ne veux pas vous donner une réponse erronée, mais je crois que lorsque les compétences se chevauchent en matière d’évaluation environnementale, le gouvernement fédéral et la province doivent s’entendre sur la compétence et la réglementation qui présideront à l’évaluation du projet.

L’honorable Mary Coyle : Sénateur Yussuff, je tiens à vous remercier sincèrement de votre leadership et de votre travail sur le projet de loi C-5. C’est une mesure législative très importante, mais controversée.

Comme presque tous les matins, j’ai écouté l’émission radio de CBC Halifax animée par Portia Clark. Oui, elle travaillait autrefois à Edmonton, mais nous l’avons rapatriée. Mon député, Jaime Battiste, était son invité pour parler du projet de loi C-5 et de la controverse que cette mesure législative suscite en partie, surtout chez les titulaires de droits autochtones. Il a souligné, dans cette entrevue, que le projet de loi C-5 se veut une loi-cadre habilitante et que l’article 35 et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones doivent être — et seront — honorés et respectés. Il a aussi évoqué les consultations qui auront lieu cet été auprès des titulaires de droits autochtones et des groupes environnementaux.

Sénateur Yussuff, vous me connaissez : je suis toujours emballée par les possibilités d’améliorer la prospérité des Canadiens et par les mesures qui peuvent réduire les formalités administratives inutiles et, comme vous l’avez dit, bâtir un Canada meilleur afin de raviver l’espoir chez les Canadiens partout au pays. Je suis toutefois curieuse de savoir si vous êtes maintenant en mesure de nous donner une idée précise de ce à quoi nous pouvons nous attendre cet été. Disons que nous adoptons le projet de loi, et nous le ferons probablement dans cette enceinte aujourd’hui même, à quoi ressembleront les consultations prévues avec les titulaires de droits autochtones? Avez-vous des détails à nous donner à ce sujet? Aussi, qu’en est-il des consultations avec les groupes environnementaux?

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de la question. J’espère que, lorsque le premier ministre rencontrera les titulaires de droits et les dirigeants autochtones de tout le pays, comme il s’est engagé à le faire, il entendra, avec éloquence et clarté, qu’il est fondamental pour le Canada de veiller au respect des droits enchâssés dans la Constitution et inscrits dans le cadre juridique de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Chaque communauté aura une approche différente. Nous ne sommes pas un pays monolithique, pas plus que les peuples autochtones. Cependant, on s’attend, je l’espère, à ce que le premier ministre en apprenne beaucoup en écoutant et en comprenant ce qu’on attend de lui et de son gouvernement au fur et à mesure que nous progresserons dans la réalisation de projets nationaux.

Si nous échouons, ce sera désastreux pour les efforts que nous avons déployés jusqu’à présent pour la réconciliation avec les communautés autochtones du Canada. J’espère que le nouveau premier ministre apprendra beaucoup des gens qu’il rencontrera, ainsi que de leurs attentes à notre égard en tant que Canadiens et de la façon dont nous interagissons avec eux si nous voulons bâtir, développer et faire croître ce pays. Ces personnes veulent également s’assurer que la réussite du pays profite à leur communauté. Les ressources de leurs communautés seront exploitées, mais est-ce qu’elles en bénéficieront si elles choisissent de donner leur appui?

J’espère qu’au cours de l’été, le premier ministre apprendra beaucoup de choses et qu’il nous informera de ce que nous devons faire pour nous assurer de prendre les bonnes décisions. En tant que nouveau premier ministre de notre pays, il est évidemment important qu’il entende ces voix et qu’il comprenne bien comment ces communautés perçoivent la protection de leurs droits. Nous nous engageons collectivement sur une nouvelle voie pour faire du Canada un endroit encore meilleur pour nous tous, et pas seulement pour certains d’entre nous.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, sénateur Yussuff. Je n’ai rien entendu au sujet d’une rencontre avec des groupes environnementaux. D’après ce qu’a dit mon député, j’ai cru comprendre que cela serait également le cas. C’est donc une question qui reste en suspens depuis ma dernière intervention.

Deuxièmement, l’une des questions qui préoccupent de nombreux sénateurs — comme vous le savez, nous en discutons tous entre nous —, c’est qu’on nous demande de faire un acte de foi considérable. Le délai est très court. Nous ne sommes pas en mesure d’étudier ce projet de loi avec la même rigueur qu’il le faudrait normalement. Je conviens que le processus au comité plénier a été très fructueux, mais il a été précipité. On nous demande donc de faire un acte de foi. Nous avons affaire à un projet de loi de type « faites-moi confiance ».

Je suis curieuse d’entendre ce que vous allez répondre aux questions suivantes : outre les consultations avec les groupes environnementaux qui auront lieu cet été, avez-vous discuté avec le gouvernement de la préoccupation que nous avons ici, en tant que sénateurs, quant à notre capacité à remplir notre rôle comme nous le souhaitons? Que pouvons-nous retenir de cette expérience, question de pouvoir, à l’avenir, travailler main dans la main avec le gouvernement — au besoin et de la manière dont nous le souhaitons — et d’ainsi adopter les meilleurs projets de loi possible pour les Canadiens?

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie une fois de plus. Je suis ici depuis quatre ans. Ce n’est pas très long, mais j’en ai appris beaucoup sur les hommes et les femmes avec lesquels je travaille. Certains jours, j’ai l’impression d’en savoir beaucoup, et à d’autres moments, de ne rien savoir du tout. Nous avons tous, dans une large mesure, des conceptions différentes du travail que nous faisons ici.

(1020)

Chaque fois que nous traitons un projet de loi à la fin d’une session, nous craignons d’avoir été poussés à travailler à la hâte. Je ne suis pas comme la plupart d’entre vous, car j’ai souvent négocié des conventions collectives alors que l’heure limite de minuit approchait. Je connais donc le sentiment d’urgence qu’on ressent quand il faut déterminer ce qu’il faudra faire avant minuit. J’ai souvent eu la grande chance que minuit ne soit pas vraiment minuit, même si je devais tenir compte de l’heure.

Or, alors que nous devons adopter ce projet de loi très important, nous devons tous nous rappeler, nous qui chérissons ce grand pays, qu’il faut avoir confiance les uns envers les autres.

Je fais confiance à mes collègues sénateurs chaque jour quand je viens travailler. Même si je ne souhaite pas forcément aller boire un verre avec vous à chaque occasion, je vous fais pleinement confiance, sans hésiter, car je crois que nous sommes des personnes bien intentionnées qui voulons faire ce qui est juste. Oui, ce projet de loi exige une certaine confiance, mais cette confiance est renforcée par les amendements qui ont été apportés à l’autre endroit afin d’améliorer le projet de loi dans la mesure du possible.

Pourrait-on faire plus? On peut toujours faire plus, mais je crois que, dans le contexte de nos fonctions, nous devons également nous demander si nous nous faisons le meilleur travail possible en adoptant ce projet de loi. Je peux dire en toute sincérité que je le crois.

L’honorable Marilou McPhedran : Sénateur Yussuff, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Yussuff : Certainement.

La sénatrice McPhedran : Merci. La soi-disant clause « Henry VIII », c’est-à-dire les articles 21 à 23, autorise le Cabinet à prendre des règlements qui viendraient supplanter d’autres instruments législatifs, notamment la Loi sur les pêches et la Loi sur les espèces en péril. Ce pouvoir dépasse largement ce que dit la Cour suprême du Canada dans Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. Les instances judiciaires n’ont pas confirmé que le Parlement peut conférer au Cabinet le pouvoir de modifier ou de faire varier l’application des lois à l’origine de ce pouvoir.

Est-il vraiment nécessaire de demander aux parlementaires des deux Chambres de laisser tomber le travail qu’ils ont fait et d’autoriser le Cabinet à modifier les lois qu’ils ont adoptées pour que le projet de loi C-5 atteigne ses objectifs?

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de votre question. Nos collègues de l’autre endroit ont examiné cette partie du projet de loi et ont apporté des modifications afin de garantir une surveillance parlementaire des lois que nous avons adoptées pour protéger l’environnement, les espèces en péril et d’autres règlements et mesures législatives pertinentes, de sorte qu’aucun ministre ne puisse avoir le pouvoir de simplement passer outre la surveillance du Parlement. Comme d’autres l’ont souligné précédemment, nous devons reconnaître que ce que nos collègues de l’autre endroit ont fait renforce considérablement le projet de loi. Peut-être que certaines parties du projet de loi devaient être rectifiées, et c’est ce que nos collègues de l’autre endroit ont fait.

La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup. En guise de question complémentaire, sénateur Yussuff, pouvez-vous nous dire quel angle de vue a été choisi pour respecter les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées afin d’examiner le type de dérogation que vous nous demandez d’accorder au Cabinet à l’égard des lois déjà en vigueur?

Le sénateur Yussuff : Encore une fois, je vous remercie de la question.

Il ne fait aucun doute que l’article 35 a été renforcé dans la loi et clarifié davantage grâce aux amendements apportés à l’autre endroit. Cela est fondamental pour nos relations avec les communautés autochtones de ce pays. Je ne pense pas que ce projet de loi vise à modifier notre approche en matière de réconciliation. Il reconnaît cette approche. De plus, le premier ministre s’est engagé à rencontrer personnellement les communautés de tout le pays afin de les écouter, de les consulter et de veiller à ce que le pays ne s’écarte pas de la voie qu’il a empruntée pour continuer à bâtir une nation plus unifiée tout en reconnaissant les leçons que nous pouvons tirer du passé.

Je crois que ce projet de loi comprend déjà ces principes fondamentaux, qui ont été clarifiés grâce aux amendements de nos collègues de l’autre endroit. Le premier ministre va rencontrer les dirigeants autochtones de tout le pays. J’espère que cela permettra de renforcer davantage les éléments qui ont pu nous échapper. Nous en saurons plus à ce sujet lorsqu’il rencontrera les communautés dans l’ensemble du pays.

L’honorable David Richards : Samuel Johnson, le grand intellect du XVIIIe siècle, disait que la chose la plus grossière qu’une personne puisse faire était de citer quelque chose que quelqu’un a dit pour l’utiliser contre lui. Malheureusement, ce credo est souvent ignoré en politique. Or, nous avons les mêmes ministres à l’autre endroit, avec des portefeuilles légèrement différents, qui ont tous défendu avec enthousiasme le projet de loi C-69 et qui applaudissent aujourd’hui le projet de loi C-5. Je vais voter pour le projet de loi C-5. Nous en avons besoin. C’est un projet de loi très important et nous devons le faire adopter. Malheureusement, je ne sais pas si leur manque de prévoyance dans le cas du projet de loi C-69 a causé la crise qu’ils essaient maintenant d’atténuer et si nous pouvons leur faire confiance. Je me demande pourquoi nous devrions leur faire confiance, sénateur, et si les choses vont s’améliorer.

Le sénateur Yussuff : Merci encore pour cette question. Je suppose que c’est une question.

Je n’ai pas participé aux délibérations sur le projet de loi C-69; je n’étais pas ici, mais le projet de loi C-5 reconnaît que nous devons faire beaucoup mieux dans notre approche pour réaliser des projets nationaux. D’après les données dont nous disposons, cela prend beaucoup trop de temps. Je suis certain que, alors que nous nous apprêtons à adopter le projet de loi C-5, le gouvernement devra se demander si d’autres lois pourraient être touchées. Je ne le sais pas. Ce point n’a certainement pas été soulevé, même s’il a été suggéré dans cette assemblée. Je suis sûr que le gouvernement a bien en tête le projet de loi C-69 et ses interactions possibles avec le projet de loi C-5.

Y a-t-il des contradictions? Je ne le sais pas, mais s’il y en a, je suis sûr que nous en débattrons dans cette enceinte si le gouvernement propose des modifications à toute autre loi qu’il nous faudrait examiner. Donc, sénateur Richards, j’espère que le Sénat appuiera ce projet de loi, mais, en même temps, en ce qui concerne ses interactions avec d’autres lois, je ne suis pas ici pour répondre à ces questions. Je ne le sais pas forcément. Je ne dispose d’aucune analyse pour vous fournir des réponses claires.

L’honorable Brian Francis : Honorables sénateurs, j’aimerais d’abord souligner que je prends la parole sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. Ce faisant, je veux reconnaître notre responsabilité collective non seulement d’honorer les contributions passées et présentes des premiers habitants de cette région, mais aussi de protéger et de faire respecter leurs droits. Ces résultats ne peuvent être atteints que par un engagement sincère et des actions significatives, et c’est quelque chose dont nous devrions nous souvenir lors de nos délibérations.

Aujourd’hui, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-5, officiellement intitulé Loi sur l’unité de l’économie canadienne, qui combine deux mesures différentes.

La partie 1 est la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada. Elle vise à éliminer les obstacles fédéraux à la circulation des biens, des services et de la main-d’œuvre.

La partie 2, la Loi visant à bâtir le Canada, a pour but de rationaliser l’approbation et la construction de grands projets que le Cabinet fédéral juge être dans l’intérêt national.

Avant d’aborder le contenu et les incidences des parties 1 et 2, je souhaite commenter le processus utilisé pour élaborer et, bientôt, mettre en œuvre ce projet de loi.

Déposé le 6 juin par l’honorable Dominic LeBlanc, ministre responsable du Commerce Canada–États-Unis, des Affaires intergouvernementales et de l’Unité de l’économie canadienne, le projet de loi a été examiné et modifié par le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes pendant deux jours, soit environ 12 heures au total, avant d’être à nouveau amendé, débattu et finalement adopté à la Chambre des communes le lendemain, le 20 juin.

(1030)

Alors que le projet de loi était encore à l’étude à l’autre endroit, le Sénat a autorisé un comité plénier à étudier la teneur du projet de loi C-5 pendant trois jours consécutifs, pour un total d’environ huit heures. Le Sénat a également convenu de tenir un vote final au plus tard le vendredi 27 juin.

Étant donné que la Chambre des communes a ajourné jusqu’au 15 septembre et que la convention veut que l’on se conforme à sa volonté, il semble presque inéluctable que le Sénat s’empresse lui aussi à adopter le projet de loi. Nous fonçons à toute allure, sans frein apparemment, vers la date butoir arbitraire du 1er juillet qui a été fixée par le premier ministre.

Pourquoi nous précipitons-nous à adopter un projet de loi aussi important qui mérite d’être examiné attentivement? Nous avions l’option de ralentir le processus. C’est le message que la Cheffe nationale Cindy Woodhouse Nepinak a clairement envoyé la semaine dernière. Elle nous a demandé de prendre le temps de faire les choses correctement et nous a rappelé que c’est ainsi que nous construirons un pays meilleur, soit en écoutant, en travaillant ensemble et en ne précipitant pas la réconciliation.

Chers collègues, le recours à une procédure aussi précipitée pour un projet de loi aussi radical et potentiellement dangereux est préoccupant. Je n’ai certainement jamais rien vu de tel depuis ma nomination. À tout le moins, nous devrions être très préoccupés par le fait que notre accord collectif, même s’il est seulement tacite, de procéder de cette manière risque de miner la confiance du public dans notre institution.

Nous avons tous été nommés au Sénat pour examiner soigneusement et minutieusement les projets de loi adoptés à l’autre endroit. Notre rôle est de nous concentrer sur les intérêts à long terme de nos régions et du Canada, ainsi que de donner une voix aux groupes sous-représentés comme les peuples autochtones.

En ce moment, je ne peux m’empêcher de me demander si nous avons vraiment assumé ces responsabilités, non seulement en principe, mais aussi en pratique. La vitesse à laquelle nous faisons progresser le projet de loi C-5 donne l’impression que nous sommes ici uniquement pour approuver aveuglément les projets de loi du gouvernement fédéral plutôt que pour les examiner attentivement et, si nécessaire, les amender. Quand nous n’accomplissons pas correctement notre devoir d’assurer un second examen objectif, nous devenons responsables des conséquences imprévues mais prévisibles qui peuvent s’ensuivre.

Aucun d’entre nous ne veut entendre de telles choses, et j’aimerais ne pas avoir à les dire. Cependant, ce serait une erreur de ne pas tenir compte des critiques qui nous sont adressées pour nos actions — ou plutôt notre inaction — en lien avec le projet de loi. Nous tous ici présents, ainsi que le grand public, n’avons pas eu le temps d’examiner attentivement et minutieusement le fond et l’incidence du projet de loi.

La semaine dernière, la Cheffe nationale Woodhouse Nepinak a dit au Sénat que l’Assemblée des Premières Nations avait eu sept jours pour fournir des commentaires sur un aperçu du projet de loi qui ne comprenait pas les dispositions finales. Pendant ce temps, de nombreuses collectivités étaient aux prises avec les répercussions des incendies de forêt et d’autres crises, aggravées par l’indifférence et la négligence constantes du gouvernement fédéral. De même, Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, nous a dit que son organisation s’était vu accorder un court délai.

Il est tout à fait inacceptable que le Canada s’attende à ce que les peuples autochtones, qui sont souvent confrontés à des défis en matière de capacité et de ressources, examinent et évaluent correctement les répercussions de mesures législatives sans avoir eu suffisamment de temps pour les comprendre au préalable.

Les peuples autochtones, qui sont censés être respectés en tant que partenaires égaux dans le cadre de relations de nation à nation, ont été complètement mis de côté sur une question qui pourrait profondément affecter leurs droits collectifs. En revanche, le premier ministre Mark Carney et le Cabinet fédéral ont rencontré les premiers ministres des provinces et des territoires dès le mois de mai afin de discuter de la proposition visant à accélérer les projets d’intérêt national au Canada.

Nous n’en serions pas là aujourd’hui si les peuples autochtones avaient eu une chance égale de participer à l’élaboration et à la rédaction du projet de loi sur l’unité de l’économie canadienne.

Chers collègues, le premier ministre et son gouvernement ont soutenu à maintes reprises que les électeurs, y compris les peuples autochtones, leur avaient donné le mandat démocratique d’agir et de réagir de toute urgence à une crise provoquée par les États-Unis, y compris le pouvoir de se donner à toute vitesse des pouvoirs considérables et sans précédent.

Même si nous acceptions l’hypothèse discutable selon laquelle un tel mandat démocratique existe, n’est-il pas risqué et imprudent de donner un pouvoir discrétionnaire aussi vaste à l’exécutif sans prendre le temps d’en comprendre pleinement les conséquences?

Jocelyn Stacey, professeure de droit à l’Université de la Colombie-Britannique, a déclaré dans un récent article d’opinion :

Nous vivons peut-être une période de crise mondiale, mais nous ne devons pas laisser les législateurs renoncer aux procédures et garanties juridiques.

Je suis tout à fait d’accord.

Les pressions économiques exercées par les États-Unis ne justifient pas une prise de pouvoir urgente qui érode les garanties juridiques dont bénéficient les communautés et l’environnement sous prétexte de rapidité et de nécessité. Cela ne veut pas dire que de nombreux travailleurs et entreprises ne sont pas durement touchés. Ils ont besoin de notre soutien. Cependant, il est trompeur de présenter l’adoption du projet de loi à l’étude comme une réponse nécessaire à une crise urgente.

Nous ne pouvons pas sacrifier des garanties essentielles et des partenariats authentiques au profit d’intérêts politiques et commerciaux. Nous risquons de créer un dangereux précédent en permettant au gouvernement de se soustraire aussi facilement au contrôle parlementaire et public.

Au-delà des problèmes causés par la précipitation du processus parlementaire, j’aimerais maintenant me pencher sur le contenu et les répercussions réelles du projet de loi C-5.

Tout d’abord, je vais expliquer pourquoi j’appuie la partie 1, qui porte sur la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, malgré quelques réserves. En dernier lieu, et c’est peut-être le point le plus important, je vais expliquer pourquoi je ne peux pas, en toute conscience, appuyer la partie 2, qui porte sur la Loi visant à bâtir le Canada.

Chers collègues, la partie 1 du projet de loi C-5, également connu sous le nom de Loi sur l’unité de l’économie canadienne, vise à édicter la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada.

Afin de réduire les obstacles de longue date au commerce et à la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, le projet de loi propose de créer un cadre de reconnaissance mutuelle pour qu’un bien, un service ou un travailleur qui répond aux exigences d’une province ou d’un territoire soit considéré comme répondant aux normes fédérales, à condition de répondre à certains critères pour être considéré comme comparable. Plus précisément, l’exigence provinciale ou territoriale doit porter sur le même élément ou aspect, ou viser à atteindre un objectif semblable par rapport à l’exigence fédérale correspondante.

À l’heure actuelle, les exigences incohérentes des provinces et des territoires créent des obstacles qui empêchent les travailleurs d’exercer leur métier ou leur profession, les entreprises de transporter et de vendre des biens et des services, et les clients d’acheter librement partout au Canada. La Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada pourrait, entre autres, aider à simplifier les exigences concernant la délivrance de permis et la conformité en matière de sécurité pour les camionneurs, ce qui contribuerait à atténuer les pénuries de main-d’œuvre, à réduire les coûts et à améliorer les livraisons partout au Canada. Par ailleurs, il pourrait éliminer les exigences réglementaires redondantes, notamment en ce qui concerne les vérifications de sécurité, afin de réduire les coûts et d’accroître la compétitivité des entreprises de camionnage.

En raison des conséquences durables des droits de douane injustifiés imposés par les États-Unis sur certains produits importés du Canada, en particulier dans les secteurs de l’automobile, de l’aluminium et de l’acier, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander à tous les pouvoirs publics de soutenir les travailleurs et les industries qui sont touchés.

Le cadre de reconnaissance mutuelle a été présenté comme une solution potentielle. En fait, la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada s’appuie sur des lois provinciales semblables.

Par exemple, l’Île-du-Prince-Édouard a adopté le 16 mai le projet de loi no 15, intitulé Interprovincial Trade and Mobility Act, afin de supprimer les restrictions liées au commerce et à la main-d’œuvre en partenariat avec les autorités s’accordant la réciprocité.

Selon le premier ministre Rob Lantz, cette mesure législative reflète l’engagement global de la province à adopter une approche du type « Équipe Canada », en plus d’ouvrir la voie à une collaboration étroite avec d’autres administrations afin de créer une économie nationale unifiée plutôt que 13 économies distinctes.

À ma connaissance, l’Île-du-Prince-Édouard a déjà conclu des accords avec la Nouvelle-Écosse et l’Ontario, et d’autres suivront assurément.

L’incidence de la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada pourrait être considérable.

L’année dernière, le Forum des politiques publiques a publié un document dans lequel il affirmait que, du fait de sa taille plus petite et de sa plus grande dépendance à l’égard du commerce intérieur que d’autres régions du pays, le Canada atlantique tirerait des avantages considérables de l’élimination des obstacles au commerce intérieur.

(1040)

L’Île-du-Prince-Édouard, en particulier, pourrait voir son PIB augmenter de 16,2 %. Le Forum des politiques publiques a également cité les conclusions tirées par les professeurs Trevor Tombe et Jennifer Winter de l’Université de Calgary en 2021. Selon eux, une modeste réduction de 10 % des obstacles au commerce interprovincial dans les Maritimes pourrait augmenter les revenus de l’Île-du-Prince-Édouard de 1,8 % et faire bondir l’emploi de 2,6 %.

Nous ne savons pas encore si cette croissance se concrétisera, mais si c’est le cas, elle pourrait transformer cette petite province. C’est en raison de ces avantages économiques potentiels que j’appuie les objectifs du projet de loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada.

Cela dit, je pense que nous devons rester prudents. Nous avons entendu à maintes reprises que la suppression des obstacles internes au commerce pourrait faire grimper le PIB du Canada de 200 milliards de dollars par an. Cependant, ces chiffres, comme d’autres, sont peut-être trop beaux pour être vrais.

C’est certainement l’argument avancé par le Centre canadien de politiques alternatives, qui soutient qu’en raison de l’utilisation d’hypothèses problématiques :

[...] les affirmations concernant les obstacles internes au commerce sont largement exagérées et souvent formulées de manière très générale, sans exemples concrets ni intuition quant à la manière dont les changements politiques pourraient favoriser la croissance.

S’il est compréhensible de garder espoir ou d’être optimiste quant au potentiel inexploité qui pourrait être libéré par la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et par des lois provinciales similaires, je pense que nous devons être honnêtes avec nous-mêmes et avec la population en général.

Nous ne pouvons pas non plus faire fi des inquiétudes suscitées par la partie 1 du projet de loi C-5, laquelle pourrait être utilisée pour diluer les exigences fédérales plus strictes dans des domaines tels que la protection de l’environnement et la sécurité des consommateurs, ou encore créer une mosaïque de normes dans des domaines essentiels tels que la construction et les transports.

Par conséquent, il est extrêmement important que les parlementaires suivent de près la mise en œuvre de la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada dès son entrée en vigueur. Nous devrons surveiller de près la manière dont le gouvernement exerce son vaste pouvoir réglementaire afin d’éviter un éventuel nivellement par le bas si les normes destinées à protéger les personnes et l’environnement ne sont pas progressivement abaissées.

Récemment, le Conseil des viandes du Canada a mis en garde que le projet de loi C-5 pourrait saper les normes fédérales en matière de santé et de sécurité en permettant aux règlements provinciaux de se substituer à la réglementation fédérale. Par exemple, le remplacement des règles fédérales d’inspection des viandes pourrait menacer les exportations de viande rouge, car les partenaires commerciaux pourraient perdre confiance dans notre système national d’assurance de la salubrité des aliments. L’importance de préserver la réglementation fédérale dans les domaines où la santé et la sécurité constituent une grave préoccupation ne peut être sous-estimée.

La transition vers un cadre de reconnaissance mutuelle en vertu de la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada exigera beaucoup de travail. Il est essentiel que le gouvernement fédéral agisse de manière responsable et équitable afin d’éviter toute confusion ou tout retard dans la réglementation et de ne pas compromettre la santé et le bien-être des Canadiens.

Chers collègues, j’aimerais maintenant parler de la partie 2, la Loi visant à bâtir le Canada, qui a pour objectif de promouvoir la croissance économique en simplifiant le processus d’approbation afin d’accélérer la réalisation d’un petit nombre de grands projets choisis pour faire progresser les intérêts nationaux du Canada. Ces projets pourraient aller des pipelines et des mines aux chemins de fer et à d’autres projets industriels et infrastructurels à grande échelle.

Pour répondre aux pressions économiques exercées par les États-Unis et d’autres facteurs, le gouvernement fédéral cherche à réorienter les examens fédéraux afin qu’ils ne déterminent plus « si » ces projets doivent être réalisés, mais plutôt « comment » les faire avancer le plus rapidement possible. Il veut fournir des délais et des résultats plus clairs et plus prévisibles pour les investisseurs.

Dans le cadre de la Loi visant à bâtir le Canada, des pouvoirs étendus et sans précédent sont accordés au Cabinet fédéral et, plus précisément, à un seul ministre. Les projets jugés d’intérêt national seront approuvés en principe avant que les évaluations d’impact soient terminées ou que les consultations commencent.

Cette approche rationalisée réduirait le processus décisionnel fédéral de cinq à deux ans — un délai qui n’est rien d’autre qu’une promesse politique, puisqu’il n’est pas inclus dans le texte du projet de loi. Rien ne garantit que ce processus sera plus court ou plus long que ce qui a été suggéré.

La semaine dernière, la Chambre des communes a apporté plusieurs amendements visant à améliorer la Loi visant à bâtir le Canada, dont un grand nombre émanaient du Parti conservateur. Je voudrais en souligner quelques-uns qui, à mon avis, ont considérablement renforcé le projet de loi en y apportant non seulement de la clarté, mais aussi une surveillance parlementaire et publique qui faisait défaut auparavant.

Le projet de loi a été amendé pour inclure une nouvelle obligation de créer un registre public centralisé et accessible pour les projets d’intérêt national qui doivent inclure une description détaillée et une justification, ainsi que les coûts prévus, les délais d’achèvement et les résultats escomptés.

En outre, le ministre est désormais tenu de rendre publiques — dans les 30 jours suivant la délivrance d’un document d’autorisation pour un projet — des informations détaillées sur les conditions, les motifs, le processus et les recommandations qui ont servi de base à la décision. En cas de rejet d’une recommandation, le ministre doit fournir une justification accompagnée d’une analyse comparative, d’une évaluation des risques liés à l’avis rejeté et des mesures d’atténuation proposées.

Ces mesures sont en outre renforcées par des amendements qui ont élargi le mandat du comité d’examen parlementaire prévu par la Loi sur les mesures d’urgence pour lui permettre d’examiner l’exercice de toutes les attributions aux termes de la Loi visant à bâtir le Canada et d’en faire rapport au moins tous les six mois. De plus, un rapport annuel sur tous les projets d’intérêt national, comprenant une évaluation des progrès, des budgets et des échéanciers, doit être déposé dans les deux Chambres et publié en ligne.

Enfin, il y a maintenant des limites au pouvoir discrétionnaire de l’exécutif. Par exemple, il est désormais interdit au gouvernement fédéral d’autoriser des projets ou d’en modifier les conditions lorsque le Parlement est prorogé ou dissous, ou après le cinquième anniversaire de l’adoption du projet de loi.

Des limites ont également été imposées au pouvoir exécutif pour l’empêcher d’outrepasser certaines lois fédérales, dont la Loi sur les Indiens, ou d’en exempter des projets, ce qui répond aux graves préoccupations soulevées par l’Assemblée des Premières Nations, entre autres.

Ces amendements et d’autres que la Chambre des communes a apportés à la Loi visant à bâtir le Canada constituent un point de départ important. Toutefois, des préoccupations de fond demeurent, la principale étant que le projet de loi confère des pouvoirs exécutifs vastes et sans précédent, ce qui crée un risque important d’abus.

Je vais maintenant donner quelques exemples précis. La première question est de savoir comment l’expression « intérêt national » sera définie. À l’origine, le projet de loi énonçait une liste de facteurs discrétionnaires pouvant être pris en compte au moment d’établir si un projet doit être désigné d’intérêt national.

Ce langage vague signifiait que les décisions pourraient être soumises aux caprices des gouvernements actuels ou futurs. La Chambre des communes a adopté un amendement exigeant que le gouvernement fédéral définisse et publie les critères précis auxquels un « projet d’intérêt national » doit satisfaire dans les 15 jours suivant l’entrée en vigueur du projet de loi. Si ce délai n’est pas respecté, le ministre responsable doit expliquer pourquoi et fournir l’échéancier dans lequel ces critères seront satisfaits. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction.

Voici toutefois le hic : c’est toujours le gouvernement fédéral qui définit ce que cela signifie et comment cela sera mesuré. Autrement dit, c’est toujours lui qui décide de ce qui relève ou non de l’intérêt national.

Par conséquent, il est possible que le gouvernement fédéral fasse passer les avantages économiques ou autres avant les intérêts des peuples autochtones, la lutte contre les changements climatiques ou tout autre facteur.

Je suis particulièrement préoccupé par la perspective que le gouvernement fédéral ait le pouvoir final de déterminer quels « projets d’intérêt national » sont dans l’intérêt des peuples autochtones. L’obligation de définir publiquement des critères contraignants apportera une certaine prévisibilité, mais cela pourrait ne pas être suffisant pour prévenir les abus potentiels du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif.

Oui, le gouvernement fédéral devra clarifier ce qu’il entend par les intérêts des peuples autochtones. Cependant, comme nous ne sommes pas une société monolithique, les peuples autochtones ont des intérêts différents, voire contradictoires, notamment en matière de développement.

Je suis également très conscient du fait que le gouvernement fédéral a déjà fait valoir qu’il était dans « l’intérêt » des enfants et des familles autochtones d’établir et de gérer des pensionnats indiens et des écoles de jour indiennes, des établissements qui ont causé des préjudices incommensurables et permanents à nos peuples et à nos communautés.

(1050)

Cela nous rappelle de manière saisissante pourquoi toute mention des intérêts des peuples autochtones dans un projet de loi comme celui-ci doit s’accompagner d’une exigence claire : ce sont les peuples autochtones, et non le gouvernement, qui définissent ces intérêts. Tout manquement à cette exigence risque de porter atteinte à nos voix et à nos droits.

Je voudrais maintenant m’attarder sur la manière dont la Loi visant à bâtir le Canada témoigne de façon générale d’un mépris pour les droits des peuples autochtones. Cette loi instaurera un processus d’approbation accéléré en deux étapes. Premièrement, une fois qu’un projet sera ajouté à l’annexe 1, il obtiendra automatiquement toutes les autorisations fédérales nécessaires, sous réserve des conditions fixées par un ministre désigné. Deuxièmement, les promoteurs d’un projet devront quand même soumettre les renseignements nécessaires aux ministères fédéraux concernés. Il sera également obligatoire de consulter les homologues fédéraux, provinciaux ou territoriaux que le ministre désigné jugera pertinent de consulter, ainsi que les peuples autochtones dont les droits pourraient être touchés par la réalisation d’un projet donné. Ainsi, plutôt que de laisser plusieurs ministres prendre des décisions distinctes sur la base des règlements qui relèvent de leur compétence, la prise de décision sera mise entre les mains d’un seul ministre habilité à publier un document énonçant les conditions particulières dudit projet.

Une fois le document publié, la disposition sur la présomption prévue par la Loi visant à bâtir le Canada habilitera le gouvernement fédéral à présumer que toutes les autorisations nécessaires sont favorables ou qu’elles appuient le projet dès qu’il a été déclaré d’intérêt national, ce qui, en soi, soulève de sérieuses préoccupations.

La partie du projet de loi qui concerne la Loi visant à bâtir le Canada a été amendée par l’autre endroit afin de prévoir l’établissement d’un processus qui permet « la participation active et significative » des peuples autochtones, et l’obligation de publier un rapport dans les 60 jours suivant la date à laquelle un document est délivré. Cette mesure de protection n’existait pas auparavant. Cependant, le projet de loi ne précise pas le seuil ou la norme à respecter pour que cela soit considéré comme une « participation active et significative ».

Cette obligation vague de consultation prévue dans le projet de loi C-5 s’applique précisément aux peuples autochtones dont les droits pourraient être lésés par la réalisation d’un projet. Le mot « pourraient » donne essentiellement au Cabinet fédéral le pouvoir discrétionnaire de décider si nos droits sont bafoués, considérant ainsi la protection des droits comme une possibilité plutôt qu’une obligation. Il en résulte un manque flagrant de clarté quant à la profondeur, à l’échéancier et aux répercussions de la consultation. En outre, rien ne garantit que les critères auxquels les projets doivent satisfaire avant leur mise en œuvre prendront véritablement appui sur la consultation.

Si le Cabinet fédéral est le seul habilité à décider si un projet porte atteinte à des droits, qu’est-ce qui l’empêchera de simplement déclarer que ce n’est pas le cas? Nous n’avons pas la réponse. Par ailleurs, il est impossible d’avoir la garantie qu’un dialogue continu ou de véritables négociations auront lieu pour réellement prendre en considération les préoccupations des titulaires de droits.

Chers collègues, en vertu de la Loi visant à bâtir le Canada, les peuples autochtones n’ont pas vraiment leur mot à dire sur l’approbation d’un projet, mais peut-être — je dis bien peut être — qu’ils auront leur mot à dire sur la façon dont le projet sera réalisé.

Le projet de loi prévoit la création d’un bureau fédéral des grands projets, qui sera entre autres responsable de consulter les peuples autochtones. Un conseil consultatif autochtone composé de représentants des Premières Nations, des Inuit et des Métis ferait partie de ce bureau. Cependant, contrairement au bureau fédéral des grands projets, cette entité n’est pas mentionnée dans le texte du projet de loi. De plus, ni le mandat, ni la structure, ni les pouvoirs du bureau fédéral des grands projets et du conseil consultatif autochtone ne sont clairement définis.

Le conseil consultatif autochtone sera-t-il en mesure de fournir des directives et des conseils indépendants ou se contentera-t-il d’approuver automatiquement les projets? Nous n’avons pas eu de réponse à cette question.

Comment pourra-t-il garantir que le gouvernement fédéral et les autres parties prenantes respecteront les droits des peuples autochtones durant tout le projet? Nous n’en savons tout simplement rien.

Chers collègues, avec l’approche rationalisée prévue par la Loi visant à bâtir le Canada, les promoteurs pourraient être moins enclins à consulter véritablement les peuples autochtones sur les moyens d’éviter ou d’atténuer les répercussions d’un projet sur leurs terres ou leurs droits, ce qui est assez inquiétant. Pourquoi quelqu’un négocierait-il alors que le résultat est déterminé à l’avance?

Je crains fortement que la Loi visant à bâtir le Canada ait de graves répercussions sur les mesures d’atténuation et d’accommodement, qui ne sont pas facultatives. Il s’agit d’éléments obligatoires du devoir de consultation, comme le confirment l’article 35 de la Constitution et la Cour suprême du Canada. Le devoir de consultation va au-delà d’une simple écoute : il faut aussi répondre convenablement aux préoccupations soulevées par les peuples autochtones, notamment en modifiant ou en rejetant les projets qui auraient des répercussions sur les droits qui ne peuvent pas être justifiées.

Nous devrions tous nous inquiéter du fait que la Loi visant à bâtir le Canada risque de réduire la consultation à un exercice symbolique parce qu’elle restreint la capacité des peuples autochtones de refuser ou de négocier la réalisation d’un projet.

Le gouvernement affirme qu’une consultation pourra toujours avoir lieu après la désignation d’un projet, mais soyons honnêtes : à ce moment-là, la décision a essentiellement déjà été prise, peu importe ses conséquences immédiates et cumulatives pour les projets situés sur les territoires traditionnels des peuples autochtones ou à proximité de ceux-ci.

En conséquence, la Loi visant à bâtir le Canada donne en fait carte blanche à des projets qui n’ont pas encore fait l’objet des évaluations scientifiques, techniques ou de sécurité qu’exigent d’autres lois fédérales.

Outre les risques graves associés à la disposition de présomption, la Loi visant à bâtir le Canada comprend les pouvoirs conférés par les clauses dites Henri VIII. Plus précisément, les articles 21 à 23 donnent à l’exécutif le pouvoir d’exempter de manière sélective certains projets de l’application des lois et règlements fédéraux pendant le processus simplifié d’approbation des projets. Ces pouvoirs créent un dangereux précédent dont nous devons nous méfier.

Le 18 juin, Anna Johnston, de West Coast Environmental Law, a déclaré devant cette assemblée que, en réalité :

[...] en permettant au Cabinet de prendre des décisions sur les grands projets avant même la tenue d’études environnementales, [ce type d’autorité exécutive] va à l’encontre du principe de la prise de décisions éclairées. Depuis plus d’un demi-siècle, au Canada, lorsqu’il est question de grands projets, nous respectons le principe fondamental selon lequel il faut y regarder à deux fois avant de sauter. Le projet de loi C-5 fait fi de ce principe et laisse le Cabinet prendre d’abord des décisions, puis poser les questions ensuite.

Mme Johnston a ajouté :

Ce modus operandi, qui consiste à agir avant de réfléchir, relègue aux oubliettes des dizaines d’années d’expérience et rejette carrément le principe de la prise de décisions éclairées. C’est comme si on bâtissait d’abord la maison et qu’on demandait après coup à l’ingénieur si elle est sûre.

Les pouvoirs conférés par les clauses Henri VIII inclus dans la Loi visant à bâtir le Canada ouvrent la porte à de possibles abus des pouvoirs discrétionnaires de l’exécutif. La réalité est qu’une fois que des pouvoirs discrétionnaires aussi larges existent, ils seront utilisés. Ces autorités exécutives étendues sont susceptibles d’être exploitées par l’industrie et par d’autres acteurs, même si les ministres affirment qu’ils ne céderont pas à la pression. Les promoteurs demanderont des exemptions, parce que cela permettra de réaliser des projets à moindre coût et plus vite.

La Loi visant à bâtir le Canada risque de réduire les évaluations environnementales à une simple formalité administrative et la consultation des Autochtones à une réflexion après coup. Cela donne à réfléchir.

Au cours de la séance du comité plénier du 17 juin, le sénateur Klyne a demandé au professeur Martin Olszynski, de la Faculté de droit de l’Université de Calgary, s’il était préoccupé par le pouvoir que le projet de loi C-5 accorde au gouvernement fédéral d’exempter les projets de l’application de mesures de protection de l’environnement, ce qui pourrait être préjudiciable à la population, à la faune et aux écosystèmes. Sa réponse a été sans équivoque. Il a déclaré : « Si le gouvernement n’a pas l’intention de se servir de ce pouvoir, pourquoi se l’accorde-t-il? »

De plus, le professeur Olszynski a mentionné que le projet de loi 5 de l’Ontario et le projet de loi 15 de la Colombie-Britannique constituaient « [...] un précédent clair qui justifie la restriction ».

Dans le même ordre d’idées, le même jour et dans le même groupe d’experts, M. Joshua Ginsberg, le directeur d’Ecojustice, nous a mis en garde :

Il ne s’agit pas de simples lois procédurales ou d’obstacles sur la voie du développement; ces lois contiennent des dispositions importantes visant à prévenir des dommages irréversibles, comme le fait de conduire des espèces à l’extinction ou de polluer l’air et l’eau d’une manière qui menace la santé humaine et la santé de l’écosystème. Elles ne sont pas censées être écartées du revers de la main.

M. Ginsberg a également ajouté que, comme le professeur Olszynski :

[Il] ne prête pas de malice au gouvernement en laissant entendre que dans son empressement à faire en sorte que les projets importants aillent de l’avant rapidement, il en a peut-être un peu trop fait et il propose d’empiéter un peu trop sur les compétences du Parlement. Il conviendrait de réduire la portée des pouvoirs prévus par le projet de loi.

(1100)

Chers collègues, on nous dit que ces vastes pouvoirs d’intervention potentiellement dangereux sont justifiés, mais le sont-ils vraiment? La semaine dernière, pendant le comité plénier, le sénateur Cardozo a expressément demandé à l’honorable Chrystia Freeland, ministre des Transports et du Commerce intérieur, quelle était la justification du gouvernement fédéral pour s’octroyer des pouvoirs aussi vastes.

Elle a simplement répondu que ces mesures extraordinaires sont nécessaires pour répondre à ce qu’elle a qualifié de véritable crise nationale. Sommes-nous vraiment plongés dans une crise qui justifie de telles mesures exceptionnelles et sans précédent, mises en place à la hâte sous le couvert de l’urgence? Bien franchement, je ne souscris pas à la prémisse de sa réponse.

Le même jour, dans cette enceinte, la ministre Freeland nous a exhortés à saisir la vague de patriotisme qui a déferlé sur notre pays ces derniers mois et à prendre la décision de nous faire mutuellement assez confiance pour créer une seule économie d’un océan à l’autre. Toutefois, compte tenu du long bilan de promesses non tenues et de torts à n’en plus finir, la confiance n’est pas une chose à laquelle le Canada peut s’attendre ou qu’il peut exiger de la part des peuples autochtones. La confiance se mérite. Elle ne s’impose pas. Puisque nos terres et nos ressources — et même nos vies et notre avenir — sont en jeu, il n’y a pas suffisamment de mesures de protection dans ce projet de loi, à mon avis.

Le gouvernement fédéral soutient que les pouvoirs exécutifs accordés en vertu de la Loi visant à bâtir le Canada seraient toujours limités par les obligations constitutionnelles et légales découlant de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Malheureusement, ces engagements ne sont pas confirmés dans le projet de loi, et les promesses ne valent pas grand-chose quand il faut encore intenter des centaines de poursuites pour faire respecter la tenue de consultations élémentaires.

Comme l’a récemment déclaré l’ancienne ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould, les Premières Nations « ne se laissent pas duper par les belles paroles ».

Les peuples autochtones savent d’expérience pourquoi les engagements ne suffisent pas lorsqu’il s’agit du gouvernement fédéral. C’est ce qu’a dit le président Obed lorsqu’il était ici la semaine dernière. Il nous a rappelé ceci :

Le Canada a toujours eu pour faiblesse de se féliciter d’être un grand défenseur des peuples autochtones, de la primauté du droit et du respect des droits des Autochtones, tout en adoptant des lois et des pratiques très différentes à ces égards. Je pense que ce comportement découle non seulement de l’ignorance, mais aussi d’un choix sans équivoque quant aux gens qui méritent de voir leurs droits respectés et à ceux qui ne le méritent pas, et quant à la manière d’atteindre un objectif qui permet au Canada de se donner bonne conscience tout en continuant à bafouer les droits qu’il prétend défendre.

En fin de compte, le respect des droits des peuples autochtones dans le cadre de la Loi visant à bâtir le Canada dépendra du sérieux avec lequel le gouvernement fédéral et les promoteurs de projets choisiront de faire respecter les droits des Autochtones dans la pratique. En ce moment, on nous demande simplement de croire qu’ils le feront. Ce n’est pas quelque chose que beaucoup d’entre nous sommes prêts à faire ou en mesure de faire.

À l’heure actuelle, la Loi visant à bâtir le Canada ne prévoit pas l’obligation explicite d’obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause avant qu’un projet soit désigné ou approuvé. Soyons clairs : le droit au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause implique le droit de dire oui ou non. Il ne s’agit pas d’un veto, mais d’un engagement à mener des négociations authentiques et continues avec les peuples autochtones en tant que véritables partenaires.

Le fait de ne pas inclure le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est une omission importante, surtout après que la Chambre des communes a ajouté un amendement pour exiger explicitement que, avant d’ajouter le nom d’un projet à l’annexe 1, le gouvernement fédéral obtienne le consentement écrit d’une province si un projet relève de sa compétence exclusive.

Il s’agit d’un cas troublant de deux poids, deux mesures qui jettent un doute sur la compétence et le consentement dont on tient réellement compte en vertu de ce projet de loi et celles dont on continue de faire fi. Ce projet de loi pourrait donner aux provinces des pouvoirs plus importants que ceux des peuples autochtones pour imposer des conditions ou empêcher la réalisation de projets.

Dans la version actuelle du projet de loi, le préambule de la Loi visant à bâtir le Canada mentionne l’article 35 de la Loi constitutionnelle et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Toutefois, l’obligation de consulter et, le cas échéant, d’accommoder — ou le principe du consentement libre, préalable et éclairé — n’est pas mise en œuvre dans le projet de loi.

Cela signifie que ces protections ne sont pas appliquées de manière contraignante ou pratique. Elles sont seulement mentionnées dans les dispositions « attendu que », qui ne sont pas exécutoires. Nous aurions pu remédier à cette exclusion si nous avions eu suffisamment de temps pour consulter les détenteurs de droits.

Chers collègues, les enjeux sont importants, non seulement pour le Canada et les Canadiens, mais aussi pour les peuples autochtones et leurs gouvernements. La Loi visant à bâtir le Canada supprime plusieurs garde-fous qui sont en place pour assurer la protection de tous. Nous craignons que les peuples autochtones subissent les conséquences fâcheuses d’approbations de projets précipitées et obscures, sans pleine participation ni consentement. Cela est vraiment inquiétant, car bon nombre de nos communautés sont déjà aux prises avec les répercussions sanitaires, sociales, économiques et culturelles du développement passé, et le projet de loi C-5 pourrait exacerber ces problèmes.

Par ailleurs, rien ne garantit réellement que les avantages économiques potentiels liés à la Loi visant à bâtir le Canada seront équitablement partagés avec les peuples autochtones. Le projet de loi ne contient aucune disposition garantissant le partage des revenus ou la copropriété et la cogouvernance des projets construits sur nos terres et nos eaux ou à proximité de celles-ci.

Le Programme de garantie de prêts pour les Autochtones, dont le budget a récemment été doublé, passant de 5 à 10 milliards de dollars, pourrait aider les communautés autochtones, inuites et métisses à participer à ces projets sur le plan économique. Toutefois, cette possibilité ne remplace pas la nécessité d’un consentement libre, préalable et éclairé pour le projet lui-même, pas plus qu’elle ne garantit un contrôle notable ou un pouvoir de décision une fois que le projet sera lancé. En fin de compte, la procédure simplifiée prévue par la Loi visant à bâtir le Canada semble plus préoccupée par l’optique politique et les délais pour les investisseurs que par le respect des champs de compétence et du consentement.

Chers collègues, je pourrais vous en dire plus. Cependant, je terminerai par ce qui suit : la prospérité du Canada exige que les peuples autochtones aient de réelles possibilités de participer à l’économie. Cependant, chaque fois que nous affirmons nos droits et nos titres, on nous considère comme des obstacles ou des menaces. Cela ne pourrait être plus loin de la vérité.

Après des générations de marginalisation économique et de dépendance, les peuples autochtones ont plus intérêt que la plupart des autres à créer un pays plus juste et plus prospère. Tout ce que nous demandons, c’est que le Canada nous intègre dès le départ en tant que partenaires égaux et à part entière.

Plus que jamais, le Canada doit être uni, et non divisé. Pourtant, dans sa version actuelle, la Loi visant à bâtir le Canada contribuerait à diviser le pays. L’approche proposée et les mesures qui seraient prises après l’adoption de ce projet de loi ne respectent pas l’obligation du Canada de consulter les peuples autochtones de manière utile et éclairée. Ce qui est paradoxal, c’est qu’au lieu d’accélérer les projets, la Loi visant à bâtir le Canada risque de les ralentir.

Tout ce que le gouvernement fédéral a réussi à faire jusqu’à présent, c’est accroître le risque d’un conflit juridique et social. Cela va non seulement prolonger les délais, mais en créer de nouveaux.

Chers collègues, dans sa chronique publiée hier dans le Globe and Mail, la journaliste anishinabe Tanya Talaga demande au Sénat, Chambre de second examen objectif, de suspendre ce projet de loi et de veiller à ce qu’il soit remanié en partenariat avec les nations autochtones. Elle nous prévient, ainsi que le Canada, que si nous ne le faisons pas, cela minera la confiance, violera le principe des relations fondées sur les traités et affaiblira les engagements constitutionnels du Canada envers les peuples autochtones. Nous devons tous tenir compte de son appel à l’action.

En conclusion, chers collègues, bien que la partie 1 du projet de loi sur l’unité de l’économie canadienne, qui porte sur la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, représente un virage majeur vers une économie nationale plus intégrée et plus efficace, la partie 2, qui porte sur la Loi visant à bâtir le Canada, trahit l’engagement du gouvernement fédéral et du Canada à renouveler la relation avec les peuples autochtones.

C’est simple : la réconciliation et la prospérité ne sont pas des objectifs contradictoires, mais elles exigent du respect et un partenariat. Je ne peux en toute conscience appuyer un projet de loi qui marque un retour inquiétant à une dynamique paternaliste et coercitive. Voilà pourquoi je ne voterai pas en faveur du projet de loi C-5. Merci. Wela’lin.

Des voix : Bravo!

L’honorable Paul (PJ) Prosper : Sénateur Francis, acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Francis : Oui.

Le sénateur Prosper : Merci. Je vous suis sincèrement reconnaissant de votre discours et de la référence que vous avez faite à un récent amendement proposé à l’autre endroit, qui stipule :

[...] le ministre veille à l’établissement d’un processus qui permet la participation active et significative des peuples autochtones touchés [...]

(1110)

Je pense que vous précisez plus loin que le texte ne dit rien sur la norme et le seuil à partir desquels la consultation doit être engagée. Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet?

Le sénateur Francis : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur.

En réalité, ce qui importe vraiment — et je l’ai répété souvent dans mon discours —, c’est d’être des partenaires égaux à la table de négociation. C’est tout ce qui est demandé.

Vous êtes un ancien chef, tout comme moi. Nous avons participé à des délibérations où l’on parlait de consultation, mais il ne s’agissait pas d’une véritable consultation.

Comme on peut le constater, le processus en cours est précipité. Or, il vaudrait mieux prendre le temps nécessaire, inviter les titulaires de droits à la table de négociation et faire les choses correctement.

Le 1er juillet n’est qu’une échéance arbitraire. Nous avons le temps de bien faire les choses, alors faisons-les bien avec les peuples autochtones de tout le Canada.

L’honorable Marty Klyne : Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Francis : Oui.

Le sénateur Klyne : Je pense que nous sommes tous deux d’accord pour dire que nos droits inhérents ont été établis par la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et par les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

À cet égard, ma question est la suivante : qu’est-ce qui empêche les chefs tribaux, les conseils tribaux ou les chefs et les conseillers de prendre les devants en demandant la tenue d’une rencontre avec le gouvernement pour lui présenter leurs attentes en matière de consultation et d’engagement constructifs et ce qu’ils recherchent?

Pourquoi ne pas adopter une approche proactive et organiser une rencontre pour que le gouvernement vienne à vous?

Le sénateur Francis : Merci, sénateur Klyne. C’est une très bonne remarque. Je pense que nous en sommes peut-être rendus là. Les Premières Nations pourraient s’impliquer davantage et dire : « En tant que détenteurs des droits, nous allons nous asseoir avec vous et vous faire part de notre opinion sur la manière dont il faudrait avancer de manière positive et constructive. »

Je répète que les peuples autochtones de tout le Canada ne sont pas contre le développement. Toutefois, quand il s’agit de nos terres et de nos territoires — et je reviens à mon propre exemple et à celui de l’Île-du-Prince-Édouard, qui a 10 000 ans d’histoire —, nous voulons simplement faire ce qui est juste, avoir notre place à la table des négociations et être consultés sérieusement.

L’honorable Pat Duncan : Sénateur Francis, acceptez-vous de répondre à une question?

Je comprends ce que vous dites au sujet des consultations, et je comprends ce que vient de dire le sénateur Klyne.

Avant de me rendre ici hier, j’ai assisté à l’Assemblée générale du Conseil des Premières Nations du Yukon. Pendant cette assemblée, on m’a parlé du projet de loi C-5. On m’a dit que l’Assemblée des Premières Nations ne parle pas au nom des Premières Nations du Yukon et que les titulaires de droits — les Premières Nations autonomes ont un autre terme pour les désigner — ont été consultés et ont parlé avec le Cabinet du premier ministre et le Bureau du Conseil privé. À leur avis, le processus d’évaluation des activités de développement durement acquis et très exigeant, dont j’ai parlé hier...

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Duncan, le temps prévu pour le débat est écoulé.

Sénateur Francis, demandez-vous plus de temps pour écouter la question et y répondre?

Le sénateur Francis : Je demande plus de temps pour y répondre.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Duncan : Merci, chers collègues. Je vous en suis reconnaissante. Je vais poser ma question.

Sénateur Francis, comment puis-je concilier cette information avec ce que j’entends dire à propos du soutien existant? Vous soutenez que les divergences de vues à l’échelle du pays constituent un défi, mais j’entends par ailleurs que les droits des Premières Nations sont protégés par la Constitution.

Le sénateur Francis : Je vous remercie pour la question, sénatrice.

Comme je l’ai mentionné dans mon discours, les Premières Nations ne sont pas unanimes au Canada. Leurs opinions varient. Certaines souhaitent voir les projets approuvés le plus rapidement possible pour qu’ils puissent se concrétiser, tandis que d’autres ont une opinion différente.

L’important, c’est qu’il incombe au gouvernement de déterminer qui sont les titulaires de droits et quels sont les organismes qui agissent au nom des peuples autochtones au pays, puis de tenir de véritables négociations et consultations avec ces groupes.

On dénombre 634 Premières Nations au Canada, sans compter les Inuit et les Métis. La tâche est énorme, mais si on s’y prend de la bonne manière, elle n’est pas impossible.

Merci.

L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’occasion de la troisième lecture de la partie 2 du projet de loi C-5 concernant la Loi visant à bâtir le Canada.

Comme mes collègues s’en souviendront, j’ai abordé mes observations sur ce projet de loi hier, à l’étape de la deuxième lecture, en soulignant les conséquences désastreuses de l’extraction des ressources pour les Premières Nations et d’autres communautés racisées. J’ai également parlé des dangers que pose le silence de la Constitution à l’égard de l’environnement, car cela mène à l’application inconstante et arbitraire du droit de l’environnement au Canada.

Je voudrais maintenant parler brièvement du droit coutumier autochtone et de son lien étroit avec l’environnement.

Dans son ouvrage intitulé The Right to a Healthy Environment: Revitalizing Canada’s Constitution, l’auteur David R. Boyd affirme :

Les systèmes juridiques autochtones, anglais et français existaient depuis des siècles au Canada avant l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867 et ils sont toujours à l’œuvre aujourd’hui. Le droit autochtone peut être défini comme « l’ensemble des procédures et des valeurs, des principes, des pratiques et des enseignements qui reflètent, créent, respectent, améliorent et protègent le monde et nos relations avec celui-ci. »

[...] comme l’a reconnu la Cour suprême, le projet de réconciliation en cours avec les peuples autochtones du Canada nécessite l’intégration des concepts juridiques autochtones dans le droit canadien. Par exemple, la Cour a soulevé que « les intérêts et les lois coutumières des Autochtones étaient présumés survivre à l’affirmation de la souveraineté et ont été intégrés dans la common law en tant que droits ».

[...] la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que le Canada a ratifiée en 2010, rappelle systématiquement l’importance de reconnaître et de respecter le droit et les institutions juridiques autochtones.

L’un des éléments fondamentaux du droit autochtone — que l’on trouve dans de nombreuses sinon toutes les sociétés autochtones — est le concept de Terre mère vivante, et une série de droits et d’obligations régissant la relation que l’homme doit entretenir avec la nature. Rappelons les paroles de John Borrows à ce sujet : « la conscience sensible de la terre est un principe fondamental du droit anishinabek, et participe d’une multiplicité des droits et d’obligations qu’ont les Anishinabek et la Terre ». Chez les Micmacs également, le droit tire ses racines des relations entre les divers éléments de la nature; il attribue une personnalité juridique aux animaux, aux plantes, aux insectes et aux rochers, et impose une série d’obligations aux membres des sociétés [micmaques].

Honorables sénateurs, le droit coutumier existe encore aujourd’hui et sert à protéger le droit à un environnement sain.

Pour faire suite à mes remarques sur le droit existant à un environnement sain qui est garanti par la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, ou LCPE, j’aimerais citer un extrait du document de la Bibliothèque du Parlement, intitulé Changements climatiques et droit à un environnement sain : développements internationaux et canadiens. L’auteur, Robert Mason, écrit :

Outre cette reconnaissance du droit à un environnement naturel sain dans le plan d’action connexe à la Déclaration, le droit à un environnement sain peut avoir des ramifications dans le contexte des droits ancestraux et des droits issus des traités, qui sont reconnus à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Bien que la nature et la portée des droits ancestraux et des droits issus de traités varient, les changements climatiques ont généralement des effets négatifs sur la concrétisation de ces droits, en particulier les droits fondés sur les pratiques traditionnelles d’utilisation des terres. Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps que les peuples autochtones ont le droit de ne pas faire l’objet d’actions gouvernementales qui les priveraient substantiellement des terres ou des ressources qui soutiennent leurs pratiques, traditions ou coutumes traditionnelles. D’ailleurs, la Cour suprême du Canada a reconnu que les « changements climatiques ont également eu des répercussions particulièrement graves sur les peuples autochtones, menaçant la capacité des collectivités autochtones au Canada de subvenir à leurs besoins et de maintenir leur mode de vie traditionnel ».

(1120)

L’auteur poursuit :

Plusieurs ONG et groupes de jeunes ont récemment réclamé que l’on reconnaisse, en vertu des droits garantis par la Charte, le droit à un environnement sain [...]

[...] dans l’affaire Environnement Jeunesse c. Procureur général du Canada [...] la Cour d’appel du Québec a [...] conclu que la demande n’était pas justiciable...

 — c’est-à-dire si la réparation peut être accordée de manière appropriée par un tribunal —

... car elle était fondée sur l’inaction du gouvernement et aurait essentiellement exigé que le tribunal dicte des solutions législatives.

L’auteur Robert Mason écrit également que, dans l’affaire La Rose c. Canada :

[...] la Cour fédérale a conclu que les demandes présentées en vertu des articles 7 et 15 de la Charte n’étaient pas justiciables, parce qu’une réparation exigerait essentiellement de « faire intervenir les tribunaux dans la réponse politique globale du Canada en matière de changement climatique », ce qui dépasserait la légitimité ou les attributions institutionnelles du tribunal.

Honorables sénateurs, le droit à un environnement sain est généralement compris comme incluant à la fois des droits fondamentaux, tels que des systèmes climatiques sûrs, de l’air pur et des environnements non toxiques, ainsi que des droits procéduraux tels que l’accès à l’information et l’accès à la justice. Malheureusement, dans de nombreux cas, l’accès à la justice par l’intermédiaire du système judiciaire reste la seule option pour les Premières Nations, et pourtant, cette option risque maintenant de ne plus être possible en raison de l’inaction du gouvernement.

Chers collègues, le Canada n’est pas une dictature, mais les articles du projet de loi C-5 contenant une clause Henri VIII nous rapprochent dangereusement de ce précipice. Les projets de loi que nous étudierons, dont nous débattrons et sur lesquels nous voterons de façon diligente à l’avenir entreront-ils dans la catégorie des mesures législatives qui sont exemptées parce qu’elles sont incompatibles avec les caprices du gouvernement en place?

Honorables sénateurs, s’il s’avère que la loi issue du projet de loi C-5 favorise le racisme environnemental, le Sénat aura-t-il l’occasion de recommander son abrogation au gouverneur en conseil? Compte tenu des délais de plus en plus courts pour mener les évaluations environnementales et les consultations, nous pourrions bien nous rendre compte que, dans sa forme actuelle, le projet de loi C-5 n’aura ni amélioré ni renforcé le développement des ressources naturelles et la production d’énergie, comme il est censé le faire.

Grâce à mes observations d’aujourd’hui, ainsi qu’à celles que j’ai formulées hier à l’étape de la deuxième lecture, j’espère avoir brossé un tableau de la situation désastreuse dans laquelle se trouvent les Premières Nations et d’autres communautés racisées en raison des effets négatifs de l’extraction des ressources. Les terres, les eaux, l’air et les animaux de ces gens, ainsi que la population elle-même ont été ravagés par les diverses toxines, la pollution, les camps de travailleurs et la dégradation générale qui découlent des activités d’extraction.

Malgré l’ambiguïté constitutionnelle du Canada en matière d’environnement, dont j’ai également parlé, le gouvernement fédéral a déployé de véritables efforts et a réalisé des progrès tangibles en légiférant sur la justice environnementale et les mesures de protection connexes. Ces efforts sont mieux résumés dans la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, qui enchâsse le droit à un environnement sain, ainsi que dans la mesure législative sur le racisme environnemental que la Chambre a adoptée en mai dernier.

Chers collègues, la primauté de notre droit collectif à un environnement sain et la nécessité vitale de veiller à ce que le Canada poursuive ses efforts de lutte contre le racisme environnemental en faveur de la justice environnementale ne doivent pas être reléguées au second plan au profit de tout futur projet d’exploitation des ressources naturelles. La meilleure façon d’y parvenir est de veiller à ce que la Loi canadienne sur la protection de l’environnement et la Loi sur la stratégie nationale relative au racisme environnemental et à la justice environnementale soient explicitement mentionnées, non pas à l’annexe 2, parmi les lois qui peuvent être contournées par règlement, mais plutôt au paragraphe 21(2), qui concerne les lois du Parlement qui ne peuvent pas être ajoutées à l’annexe 2.

Rejet de la motion d’amendement

L’honorable Mary Jane McCallum : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-5 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié :

a) à l’article 4, à la page 19, par substitution, à la ligne 29, de ce qui suit :

« p) la Loi sur les produits dangereux;

q) la Loi sur la stratégie nationale relative au racisme environnemental et à la justice environnementale;

r) la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999). »;

b) à l’annexe, à la page 22 :

(i) par suppression de l’article 9 à la partie 1 de l’annexe 2,

(ii) par le changement de la désignation numérique des articles 10 à 12 à celles d’articles 9 à 11 et par le changement de tous les renvois qui en découlent.

L’honorable Hassan Yussuff : Honorables sénateurs, je prends brièvement la parole pour parler de l’amendement proposé par la sénatrice McCallum. Je prie respectueusement mes collègues de s’y opposer.

Notre pays est frappé par une crise grave et subite depuis l’annonce des droits de douane américains, qui sont maintenus à ce jour. Le gouvernement a reçu un mandat électoral clair pour cibler des projets d’intérêt national qui transformeront l’économie et pour accélérer leur mise en œuvre. Cet objectif est au cœur de la lettre de mandat que le premier ministre a remise à ses ministres. Cela a une incidence sur l’architecture législative du projet de loi C-5.

En ce qui concerne la question précise qui a été soulevée, le fait de supprimer cette loi de l’annexe 2 et de l’ajouter au paragraphe 21(2) entraverait la capacité du gouvernement à harmoniser le processus fédéral d’approbation des projets d’intérêt national. L’inclusion de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement à l’annexe 2 vise à éviter l’émission de certains permis fédéraux qui figurent parmi les plus courants pour les grands projets. Enlever cette loi de l’annexe 2 ferait en sorte que les permis en question ne pourront pas être inclus parmi les autres permis courants visés par l’approche pangouvernementale simplifiée que l’on veut adopter dans le but de réaliser les grands projets d’intérêt national.

De plus, aucun amendement de cette nature n’a été proposé par l’autre endroit, et aucun intervenant n’y a fait référence dans le cadre de l’examen du projet de loi à l’autre endroit ou au Sénat. Je reconnais que l’amendement vise à garantir le respect des mesures de protection de l’environnement, mais il existe d’autres mécanismes efficaces à cet effet.

Cette question est traitée dans le projet de loi C-5 de la manière suivante : l’environnement est l’un des cinq critères pris en compte pour l’examen de tout projet visant à obtenir le statut de « projet d’intérêt national ». Indépendamment du processus d’approbation fédéral, cela n’a aucune incidence sur le processus de consultation des peuples autochtones ou sur les évaluations environnementales provinciales. Le gouvernement dispose d’un recours politique sérieux si un projet ayant des impacts environnementaux graves et flagrants est approuvé. Par exemple, un rapport doit être publié, exposant les considérations et les décisions prises par le ministre désigné.

Compte tenu des défis que les amendements poseront au calendrier du projet de loi et des mesures strictes de protection de l’environnement déjà en place, le gouvernement ne peut appuyer l’amendement présenté par la sénatrice McCallum, malgré tout le respect qu’il doit à celle-ci. Je vous demande, chers collègues, de voter contre cet amendement. Je vous remercie.

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

(1130)

Son Honneur la Présidente : Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Des voix : Quinze minutes.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Le vote aura lieu à 11 h 45.

Convoquez les sénateurs.

(1140)

La motion d’amendement de l’honorable sénatrice McCallum, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Batters McPhedran
Clement Miville-Dechêne
Francis Pate
Housakos Prosper
MacDonald Richards
Manning Smith
Martin Wells (Terre-Neuve-et-Labrador)—15
McCallum

CONTRE
Les honorables sénateurs

Arnold Klyne
Arnot Kutcher
Aucoin LaBoucane-Benson
Black Lewis
Boehm Loffreda
Boudreau MacAdam
Boyer McNair
Burey Mégie
Busson Mohamed
Cardozo Moodie
Coyle Moreau
Cuzner Muggli
Dalphond Oudar
Deacon (Nouvelle-Écosse) Patterson
Deacon (Ontario) Petitclerc
Dean Petten
Dhillon Pupatello
Downe Ravalia
Duncan Ringuette
Forest Saint-Germain
Fridhandler Sorensen
Gerba Surette
Gignac Tannas
Gold Varone
Harder Verner
Hay White
Hébert Wilson
Henkel Youance
Kingston Yussuff—58

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs

Al Zaibak Moncion
Ataullahjan Robinson
Cormier Seidman
Marshall Senior
McBean Simons—10

(1150)

Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Yussuff, appuyée par l’honorable sénateur Varone, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.

L’honorable Paul (PJ) Prosper : Honorables sénateurs, j’ai été assermenté au Sénat en septembre 2023. Au cours des quelque deux années que j’ai passées dans cette enceinte, j’ai commencé à voir émerger certaines tendances inquiétantes.

Tout d’abord, immanquablement, une urgence surgit toujours à l’approche du congé des Fêtes, en décembre, et juste avant le congé estival, en juin. Je comprends bien que ces périodes précédant les longs congés sont souvent qualifiées de « saison folle » au Parlement, mais le refrain constant et répétitif qui demande aux sénateurs d’adopter un projet de loi sans délai et sans amendement en raison de ceci ou cela — insérez ici une date d’audience, une crise existentielle ou une pression extérieure — devient lassant. À quel moment le gouvernement demandera-t-il une prolongation du délai, commencera-t-il le processus plus tôt ou décidera-t-il même de siéger plus tard afin que nous puissions réellement bien faire notre travail?

Les sénateurs qui siégeaient dans cette enceinte lors de la législature précédente se souviennent peut-être du projet de loi S-7, qui visait à modifier la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016). Il permettait aux agents de la sécurité frontalière de saisir et de fouiller les appareils numériques. Les délibérations à ce sujet ont soulevé de nombreuses questions sur la manière d’équilibrer la sécurité et la vie privée.

Comme l’a souligné le sénateur Wells dans son discours à l’étape de la troisième lecture :

Le gouvernement a présenté le projet de loi dont nous sommes saisis il y a quelques semaines à peine. Avant cela, il n’y avait eu aucune consultation auprès des parties externes par les représentants du gouvernement. Il n’y avait aucune indication de ce que le gouvernement envisageait. Au lieu de cela, on a balancé un projet de loi au Sénat en lui demandant de l’adopter le plus rapidement possible. De plus, vous vous souviendrez, chers collègues, qu’il a été présenté au Sénat le jour de l’échéance de la prolongation du délai.

On nous a dit qu’il était essentiel d’adopter ce projet de loi sans délai. Pourtant, chers collègues, le projet de loi S-7 n’a jamais dépassé la première lecture à l’autre endroit. Je me permets donc de remettre en question l’urgence réelle de la situation.

Les motions de programmation deviennent également la norme. En tant que nouveau sénateur, j’ai adhéré à l’argument selon lequel les motions de programmation aident à organiser notre temps et à éviter les jeux politiques qui retardent l’adoption de mesures législatives clés. Cependant, j’ai maintenant l’impression que les motions de programmation ne sont rien d’autre que des entraves qui limitent notre capacité d’examiner en profondeur les projets de loi, certains desquels auraient des répercussions importantes sur nos collectivités et sur le pays dans son ensemble.

Le projet de loi C-5, par exemple, a été amendé à l’autre endroit afin d’inclure des dispositions prévoyant un processus de consultation « acti[f] et significati[f] ». J’aurais aimé avoir eu l’occasion d’inviter le ministre responsable pour lui demander à quoi ressemblerait ce type de processus. On pourrait soutenir qu’un processus actif et significatif devrait déjà être en place puisque le gouvernement cherche à remplir ses obligations conformément à l’article 35 de la Constitution. Cette ligne ne me rassure guère. D’après les conversations que j’ai eues avec des titulaires de droits au cours des derniers jours, ce sentiment est partagé dans l’ensemble du pays.

Les études préalables constituent une autre tendance à laquelle nous semblons souvent nous conformer. Afin de mieux comprendre le Sénat, son histoire et les raisons qui sous-tendent notre Règlement et nos procédures, j’ai communiqué avec le bureau de recherche du Groupe des sénateurs canadiens, qui est une excellente source d’information. Je tiens à vous faire part de certains passages d’une note d’information qu’il a préparée à ce sujet :

La pratique des études préalables du Sénat découle de la procédure établie par le Comité sénatorial permanent des finances nationales dans les années 1940 pour étudier le budget des dépenses avant que les projets de loi de crédits connexes soient présentés à la Chambre. Le Sénat a adapté la procédure afin de s’ajuster à la vaste réforme du régime de l’impôt sur le revenu du Canada entreprise dans les années 1970 à la suite de la Commission royale d’enquête sur la fiscalité, la Commission Carter. Pour faciliter l’examen approfondi des volumineux projets de loi fiscaux, le Comité sénatorial des banques a tenu des réunions sur la teneur des projets de loi avant qu’ils soient présentés au Sénat. Cette procédure législative unique est connue sous le nom de « formule Hayden », du nom du président du Comité des banques, le sénateur Salter Hayden. L’objectif de la formule était de donner au Sénat plus de temps pour étudier les projets de loi complexes et proposer des amendements qui pourraient être inclus dans les projets de loi avant qu’ils soient adoptés par la Chambre des communes.

Au cours des législatures subséquentes, le Comité des banques a continué de recourir à la formule Hayden pour étudier les projets de loi fiscaux et d’autres questions budgétaires. Sur les 30 projets de loi ayant fait l’objet d’une étude préalable au cours des années 1970, 23 l’ont été par le Comité des banques. Toutefois, l’objectif et la portée des études préalables ont considérablement changé dans les années 1980. Elles ont souvent été utilisées pour accélérer le processus législatif en donnant au Sénat le temps d’étudier les projets de loi qui lui étaient renvoyés peu de temps avant un congé. En 1991, une motion controversée du gouvernement visant à renvoyer quatre projets de loi à des comités pour qu’ils fassent l’objet d’une étude préalable a poussé Royce Frith, le leader de l’opposition, à exprimer « un certain sentiment de regret » pour son soutien initial aux études préalables lorsque la pratique a commencé dans les années 1970, expliquant que « peu à peu, l’exception est devenue la règle ». Au cours du même débat, le sénateur Douglas Everett, qui avait également soutenu la première utilisation des études préalables au Sénat, a fait remarquer que « [l]’étude préalable est devenue une manière d’empêcher l’ingérence du Sénat ».

Étant donné la grogne croissante à l’égard de l’évolution du recours aux études préalables, le nombre de celles-ci a considérablement diminué après 1990. De fait, de 1993 à 2009, une seule mesure législative non budgétaire, la Loi antiterroriste, présentée à la suite des attentats du 11 septembre, a fait l’objet d’une étude préalable. Depuis 2010, le nombre d’études préalables a augmenté, mais la majorité d’entre visaient des projets de loi liés à des mesures financières. Cependant, au cours des 43e et 44e législatures, le comité désigné pour réaliser une étude préalable de même que les sujets ainsi traités se sont diversifiés, la moitié des projets de loi renvoyés à un comité ayant trait à des mesures non financières.

(1200)

Chers collègues, non seulement nous nous sommes égarés par rapport à ce que les études préalables étaient censées être à l’origine, mais comme l’a dit la sénatrice Simons hier, nous nous sommes peinturés dans un coin : après 12 heures d’étude préalable en comité plénier, nous sommes maintenant appelés à voter sur un projet de loi qui a changé considérablement. Chers collègues, nous n’avons pas la possibilité d’entendre des témoins au sujet des répercussions potentielles ou des conséquences imprévues de ces amendements.

Nous n’avons pas non plus vraiment donné aux Premières Nations le temps d’analyser les amendements pour déterminer comment ils répondent à leurs préoccupations. Nous devons plutôt nous fier aux quelques mémoires et lettres ouvertes que nous avons été en mesure de rassembler alors que de nombreux dirigeants autochtones participent à des cérémonies pour célébrer la Journée nationale des peuples autochtones et qu’une grande partie du Parlement est en vacances pour la Saint-Jean-Baptiste.

Voici maintenant la dernière tendance que je souhaite souligner aujourd’hui : lorsque le Sénat commence à se pencher sur la teneur des énormes projets de loi qui sont étudiés à la va-vite dans un contexte d’urgence, il suffit de l’ombre d’une rumeur de proposition d’amendement pour que nous recevions inévitablement une lettre d’un ou de plusieurs ministres qui vise à apaiser nos craintes et à nous dissuader d’adopter des amendements.

Par exemple, hier, le 25 juin, le sénateur Yussuff a déposé une lettre du ministre LeBlanc, qui nous remercie de notre travail en soulignant le fait que le gouvernement a répondu aux préoccupations soulevées lors des délibérations du comité plénier ou qu’il le fera.

Cependant, chers collègues, j’ai déjà vu ce film. C’est du réchauffé. Je connais la fin. J’aimerais citer aux sénateurs un extrait d’une lettre ouverte datée du 17 juin 2025, que l’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse a adressée au premier ministre Carney au sujet du projet de loi C-5 :

Le document d’information du gouvernement destiné aux populations autochtones affirmait ensuite : « Les provinces, les territoires et les peuples autochtones nous ont fait savoir qu’ils souhaitaient que des projets concernant, par exemple, des mines, des installations nucléaires, des ports et d’autres infrastructures soient prioritaires. » Cette déclaration est trompeuse, selon nous, car elle traite les peuples autochtones comme un monolithe et ne reflète manifestement pas nos intérêts, puisque le gouvernement n’a eu aucune discussion préalable avec nous. Ce n’est malheureusement pas la première fois que les dirigeants mi’kmaqs se retrouvent dans une position difficile lorsque des projets de loi sont adoptés à la hâte. Cela devient même une tendance alarmante, tant au niveau fédéral que provincial. Nous n’avons pas la possibilité de faire entendre notre voix avant la présentation des projets de loi ou pendant leur processus d’adoption.

Quand une mesure législative ne tient évidemment pas compte de nos intérêts, on nous promet que nos préoccupations seront prises en compte après coup dans des règlements, mais ces promesses ne sont pas tenues. Voici quelques exemples.

Projet de loi C-49, Loi modifiant la Loi de mise en œuvre de l’Accord atlantique Canada—Terre-Neuve-et-Labrador et la Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada—Nouvelle-Écosse sur les hydrocarbures extracôtiers : Cette mesure législative risque d’avoir de graves répercussions sur les droits des Mi’kmaqs de la Nouvelle-Écosse prévus à l’article 35. Bien qu’il y ait eu des rencontres portant spécifiquement sur les nouveaux projets du secteur de l’énergie, ce projet de loi n’a jamais été mis à l’ordre du jour ni mentionné par la Couronne. Nous siégeons à plusieurs tables avec les gouvernements provinciaux et fédéral où on aurait dû discuter de ce projet de loi, mais il n’en a jamais été question, et celui-ci n’a jamais été porté à notre attention. Du point de vue des relations, une telle omission est très nuisible. Tout au long du processus législatif, on a, à maintes reprises, assuré à notre équipe que nos préoccupations seraient prises en compte dans la réglementation, mais la réglementation proposée ne fait aucune mention de la consultation des Autochtones ni des droits ancestraux ou issus de traités visés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et elle ne tient pas du tout compte de notre rétroaction.

Ces garanties avaient été offertes — vous l’aurez deviné — dans une lettre du ministre Wilkinson.

Pensons aussi au projet de loi C-45, qui a légalisé le cannabis au Canada. Dans une lettre, les ministres des Affaires autochtones et de la Santé avaient promis de travailler sur un cadre qui permettrait aux Premières Nations de taxer et de réglementer le cannabis dans les réserves. Or, sept ans plus tard, cela n’a toujours pas été fait. Les promesses non tenues sont tellement fréquentes que le Comité des peuples autochtones a réalisé une série d’études afin de pousser le gouvernement à répondre de son inaction.

(1210)

À mes yeux, le projet de loi C-5 a permis non seulement de mettre en lumière ces tendances inquiétantes, mais aussi de souligner que le Canada est en train de devenir un pays d’extrêmes. Il n’est plus possible d’avoir un discours social modéré. Les positions doivent désormais être tranchées, sans zone grise.

Lorsque j’ai critiqué la précipitation avec laquelle ce projet de loi était présenté et que j’ai évoqué la nécessité de le modifier, voire de reporter son adoption, mon bureau a été la cible de propos racistes et de menaces si intenses que mes employés ont demandé l’autorisation de ne pas répondre aux appels téléphoniques provenant de numéros inconnus. C’est inacceptable.

Trop souvent, les peuples autochtones sont présentés comme des obstacles au progrès. On nous dépeint comme des peuples qui viennent « quémander » au gouvernement, comme l’a récemment déclaré un dirigeant canadien, ce qui me dérange parce que je sais que tous les peuples autochtones sont en faveur du progrès. Nous ne sommes pas opposés à la construction d’infrastructures et nous voulons avoir la possibilité de générer des revenus autonomes. Aucun d’entre nous ne veut voir nos enfants grandir dans la misère, sans accès à l’eau potable, sans possibilité d’obtenir un emploi bien rémunéré et sans soutien pour nos malades et nos mourants.

Cependant, nous ne voulons pas que le succès et le progrès se fassent au détriment des peuples autochtones. Nous voulons être à la table des décisions aux côtés des politiciens canadiens, car ces décisions nous concernent, et elles touchent nos terres et nos ressources.

Ces clichés racistes reposent sur une croyance tenace en la terra nullius et la doctrine de la découverte. Ils reposent sur la croyance persistante selon laquelle le Canada était une terre désolée peuplée de sauvages avant l’arrivée des Anglais et des Français. Ceux qui perpétuent les stéréotypes sur les Indiens paresseux sont ceux qui adhèrent aux affirmations que l’on trouve dans des éditoriaux comme celui de Nigel Biggar paru le 23 juin 2025 dans le National Post, qui affirme que l’idée selon laquelle le Canada s’est construit sur des terres volées est « historiquement et juridiquement inexacte ». Ce sont des gens qui prétendent avoir payé un prix juste et équitable pour obtenir le titre de propriété sur ce territoire, des gens qui posent sérieusement la question suivante dans leurs commentaires en ligne :

Je me demande à quoi ressemblerait le continent nord-américain sans les siècles d’immigration des Blancs.

Ce pays a adopté des lois qui restreignaient notre liberté de quitter nos réserves, qui nous interdisaient de pratiquer nos traditions et de parler notre langue. Il a adopté des lois qui nous ont séparés de nos enfants contre notre gré pour qu’ils soient placés dans des pensionnats. Nous avons même été empêchés d’engager des avocats pour nous défendre et défendre nos droits. Soit dit en passant, chers collègues, toutes ces lois ont dû être adoptées par cette assemblée avant d’entrer en vigueur.

C’est pourquoi nous insistons tant, en cette nouvelle ère de réconciliation, pour qu’il n’y ait pas de retour en arrière. Nous ne voulons plus jamais que les décisions nous soient dictées. Nous voulons participer à la discussion dès le début.

Ce qui est triste, chers collègues, c’est que nous serions probablement arrivés à la même situation ou à une situation très similaire si le gouvernement avait fait son travail et pris le temps de consulter les peuples autochtones. La promesse faite par le gouvernement était d’éliminer les derniers obstacles fédéraux au commerce interprovincial avant la fête du Canada. C’est la première partie de ce projet de loi.

La deuxième partie de ce projet de loi, la loi visant à bâtir le Canada, n’a jamais été promise dans un délai aussi court. Je suis convaincu qu’en investissant quelques mois de plus dans ce projet de loi et en veillant à ce que les détenteurs de droits aient la possibilité de faire part de leurs réflexions et de proposer des révisions, nous aurions vu ce projet de loi être adopté avec un soutien massif. Mais je suppose que nous ne le saurons jamais.

Je m’arrête ici pour remercier ma collègue, la sénatrice Patterson, et son équipe, qui ont défendu avec tant de vigueur l’inclusion de la voix des détenteurs de droits autochtones dans nos travaux limités sur ce projet de loi.

Je tiens également à remercier mes collègues du Groupe des sénateurs canadiens, qui ont compris à quel point il était important pour moi de veiller à ce que le contenu autochtone soit consigné au compte rendu. Ils m’ont soutenu en me donnant amplement l’occasion de poser mes questions aux ministres et aux témoins. Merci, chers collègues, de m’avoir donné l’occasion de faire entendre ma voix. C’est grâce à cette mobilisation que nous pouvons lire dans le hansard des paroles aussi puissantes que celles de la Cheffe Shelly Moore-Frappier, de la Première Nation de Temagami. Voici ce qu’elle a dit :

Le Canada continue à parler de relations de nation à nation et de réconciliation. Le projet de loi fait l’opposé en conférant un pouvoir à l’endroit des Premières Nations, leurs ressources et leurs droits. Ce texte a été rédigé sans nous. Il mentionne vaguement les protections constitutionnelles et issues des traités. Son adoption aura pour effet d’inscrire encore plus profondément dans la loi l’unilatéralisme comme méthode systématique pour gouverner les Premières Nations.

Le projet de loi C-5 ne favorise pas la réconciliation; il la trahit.

L’obligation de consulter n’a jamais été suffisante. Elle a toujours mis sur les épaules des Premières Nations le fardeau de la preuve et de la défense de leurs droits, le plus souvent avec des ressources limitées et sans garantie.

D’autres détenteurs de droits ont pris contact avec nous, insistant pour que nous les écoutions avant d’adopter ce projet de loi. Bien qu’ils n’aient plus la possibilité de s’adresser directement aux sénateurs, je tiens à vous faire part de certains de leurs propos.

Le conseiller Larry Sault, de la Première Nation des Mississaugas de Credit, m’a envoyé un courriel dans lequel il déclare ce qui suit :

D’un point de vue historique, sir John A. MacDonald (progressiste-conservateur) parlait d’« intérêt national » quand il militait pour la réalisation de son rêve et était l’âme dirigeante de la construction du chemin de fer transcontinental Canadien Pacifique (donc un contexte de territoire et de développement). L’histoire relate les actes atroces qu’il a commis contre notre peuple afin de l’éloigner du tracé qu’il souhaitait pour la voie ferrée : gens expulsés de force de leurs terres ancestrales, tactiques visant à créer une famine pour que notre peuple se plie à sa volonté, abattage des animaux qui nous nourrissaient (bisons), etc. On parlait du « problème indien », à l’époque.

M. Sault me demande ensuite si c’est ce que le Canada souhaite voir en 2025.

Pour sa part, le Chef Raymond Powder, de la Première Nation de Fort McKay, souligne ceci :

Notre priorité est la réconciliation économique. C’est sous cet angle que notre nation aborde le projet de loi C-5.

Il souligne ensuite que sa communauté souhaite « donner plus de profondeur et de sens » à l’alinéa 5(6)d) du projet de loi, qui parle de « promouvoir les intérêts des peuples autochtones ». Il ajoute ensuite ceci, plus loin dans son mémoire :

Nous reconnaissons que la période pendant laquelle il est possible de formuler des commentaires sur ce projet de loi est extrêmement courte. Nous nous tiendrons à votre disposition pour toute réunion ou consultation afin de faire entendre notre voix au cours du processus législatif. La Première Nation de Fort McKay est une nation souveraine, et nous souhaitons poursuivre notre relation directe avec le gouvernement fédéral.

(1220)

De même, la Cheffe Phyllis Whitford de la Première Nation O’Chiese a écrit :

Malgré toutes les décisions concernant les cadeaux que nous a faits notre créateur, nous n’avons jamais renoncé à nos responsabilités et à nos pouvoirs en matière de protection de ces cadeaux. Lorsque le roi Charles III a prononcé le discours du Trône, il a mentionné notamment le droit au consentement libre, préalable et éclairé. Il s’agit là d’un droit qui nous est reconnu par traité [...]

Le Canada, sans consultation préalable de nos peuples, a présenté le projet de loi C-5, intitulé Loi sur l’unité de l’économie canadienne. Nos territoires et nos ressources vont être soumis aux décisions unilatérales du gouverneur en conseil. Ce processus contourne le Parlement et met fin à plus de 400 ans d’histoire parlementaire. Il est désormais inutile d’avoir une Chambre des communes ou un Sénat, puisque c’est le Cabinet qui prend les décisions. Toutefois, il y a un problème. Il y a les traités de paix et d’amitié conclus avec nos peuples. Les sujets de la Couronne n’ont pas le droit d’établir des règles qui l’emportent sur nos droits. Si la Chambre des communes peut renoncer à ses responsabilités envers ses électeurs, nous ne pouvons renoncer à nos responsabilités et obligations envers les générations futures.

Partout au pays, des sentiments similaires sont exprimés par les détenteurs de droits et les organisations autochtones représentatives telles que l’Assemblée des Premières Nations.

Dans sa lettre, le ministre LeBlanc déclare :

Le projet de loi vise à accélérer la réalisation de grands projets sans compromettre les obligations juridiques, telles que celles prévues par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et l’obligation de consulter, ni les objectifs plus larges de réconciliation.

Eh bien, chers collègues, selon l’article 5 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones :

Le gouvernement du Canada, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, prend toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la Déclaration.

Plus loin, le paragraphe 6(1) stipule que le gouvernement « élabore et met en œuvre [...] un plan d’action afin d’atteindre les objectifs de la déclaration ».

Dans le chapitre « Priorités partagées » du Plan d’action 2023-2028, le tout premier objectif prioritaire est le suivant :

[...] garantir un Canada où : le respect des droits des Autochtones est systématiquement inscrit dans les lois fédérales et les politiques élaborées en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones concernés.

Il est désormais trop tard pour que le projet de loi C-5 soit élaboré en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, mais il est encore possible de veiller à ce que ce projet de loi soit modifié de manière à y inscrire le droit au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, qui n’est pas un droit de veto, mais une norme de traitement et une reconnaissance de notre droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et à l’autodétermination.

Je sais que beaucoup d’entre vous hésiteront à amender ce projet de loi. Pour nombre de mes collègues, les rengaines suivantes paraîtront bien familières : « Nous ne devons pas aller à l’encontre de la volonté de Chambre élue. » « Nous ne devons pas perdre de vue que nous sommes nommés et que nous n’avons donc pas le mandat d’amender une mesure qui a déjà été adoptée par l’autre Chambre. » Il y a aussi l’une de mes préférées : « Faites-nous confiance. » Cependant, si nous avons été nommés au Sénat, c’est pour échapper aux pressions du cycle électoral et pour pouvoir nous opposer par principe à des projets de loi mal rédigés.

Nous ne sommes pas inférieurs. Nous sommes une Chambre de même stature que l’autre endroit. Nous pouvons élaborer et amender des projets de loi. En fait, il est de notre devoir de veiller à ce que la loi reflète les régions que nous représentons, et il est de notre devoir de donner une voix aux minorités qui sont souvent marginalisées. Je frémis quand j’entends des gens dire que nous devons nous abstenir d’apporter des amendements, de peur que l’opinion publique ne se retourne contre nous. Les sénateurs ont souvent fait remarquer que les Canadiens s’interrogeaient sur notre pertinence. Je vous le dis : nous ne deviendrons insignifiants que si nous nous rendons nous-mêmes insignifiants.

Je vous lance un défi en reprenant les mots de la Cheffe Moore-Frappier :

Je vous rappelle que nous sommes prêts à avancer ensemble. Si le Canada prend la réconciliation au sérieux, il doit alors commencer à agir comme un cosignataire des traités. L’honneur de la Couronne n’est pas uniquement cérémoniel; c’est le fondement moral de votre relation avec les premiers peuples. Cet honneur est en jeu.

La Cheffe a aussi dit que la seule véritable monnaie d’échange, c’est la confiance.

Wela’lioq. Merci beaucoup.

Rejet de la motion d’amendement

L’honorable Paul (PJ) Prosper : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-5 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 4 :

a)à la page 10, par substitution, aux lignes 28 à 36, de ce qui suit :

« paragraphes (1) ou (4) relativement à un projet, il tient compte des facteurs suivants :

a) la mesure dans laquelle le projet peut :

(i) renforcer l’autonomie, la résilience et la sécurité du Canada,

(ii) procurer des avantages économiques ou autres au Canada,

(iii) avoir une forte probabilité de mise en œuvre réussie, »;

b)à la page 11 :

(i)par substitution, aux lignes 1 et 2, de ce qui suit :

« (iv) promouvoir les intérêts des peuples autochtones en respectant les engagements du gouvernement du Canada d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause,

(v) contribuer à la croissance propre et à l’atteinte des »,

(ii)par substitution, à la ligne 4, de ce qui suit :

« climatiques;

b) tout autre facteur qu’il estime pertinent. ».

L’honorable Pierrette Ringuette : Sénateur Prosper, je vous remercie infiniment de vos observations. Je vais parler de deux choses. Je suis ici depuis 22 ans et demi, et j’avais 45 événements en décembre et en juin.

(1230)

Ce sont des considérations importantes, et il faut y réfléchir. Le sénateur Tannas a tenu les mêmes propos il y a un an et demi au sujet des projets de loi omnibus d’exécution du budget et de nos études préalables, entre autres. Pour ma part, j’ai essayé, petit peu par petit peu, de faire changer la culture, la façon dont nous percevons cette institution et la façon dont nous entendons la mettre au service des Canadiens.

Je vais vous donner un petit exemple. À moins que nous décidions collectivement d’ajourner le Sénat de la mi-juin à la mi-août, puis du début décembre au début janvier, nous continuerons de tenir les mêmes arguments sans jamais trancher. Il s’agit simplement d’organiser les modalités et le calendrier de nos séances, mais cela nécessite un changement de culture. Il faut la participation de tous les sénateurs.

Oui, j’ai une question à poser. Elle porte sur votre deuxième grand argument, à savoir la définition de consultation significative. Vous siégez à un comité sénatorial. Le comité sénatorial chargé des affaires autochtones va-t-il étudier ce qu’est une consultation significative et déposer un projet de loi afin de la définir pour toutes les lois fédérales, ce qui permettrait de régler ce problème très particulier? Comme je l’ai dit, c’est probablement ma 45e fois, si ce n’est pas davantage.

Le sénateur Prosper : Je vous remercie de votre question, sénatrice.

Il est nécessaire, c’est indéniable, de définir les paramètres et les pratiques exemplaires qui caractérisent la consultation ainsi que l’expression « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ». Le gouvernement a évoqué ce principe dans le contexte de ce projet de loi, mais sans l’y inscrire explicitement. Je suis donc tout à fait d’accord pour dire qu’il doit y avoir un effort concerté et ciblé pour définir et préciser en quoi consistent la consultation et le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Je vous remercie.

L’honorable Mary Coyle : Je remercie mon collègue et voisin le sénateur PJ Prosper de tout le travail qu’il a fait au nom de nous tous au Sénat. Nous lui en sommes reconnaissants et il a notre respect.

J’ai une question concernant l’amendement. Elle porte davantage sur l’origine de l’amendement, car vous aimeriez que nous améliorions le projet de loi en adoptant cet amendement. Je veux en savoir plus sur le processus de consultation qui a conduit à la rédaction de cet amendement et sur les personnes qui l’appuient. Je sais que vous l’appuyez et vous avez parlé d’un certain nombre de personnes que vous avez rencontrées. Je sais que nous avons entendu certaines d’entre elles ici, au Sénat. Je veux savoir qui d’autre, mis à part vous, bien sûr, est à l’origine de cet amendement et dans quelle mesure nous pouvons être assurés que l’adoption du projet de loi avec cet amendement répondra aux préoccupations soulevées par les dirigeants autochtones.

Le sénateur Prosper : Je vous remercie de votre question, sénatrice Coyle.

Je tiens d’abord à parler des témoignages que nous avons entendus au Sénat. Même si les témoignages étaient très limités, je pense que les témoins sont allés droit au but, qu’ils ont exprimé très clairement leur opinion et qu’ils ont souligné les lacunes du projet de loi. Pour répondre à votre question, mon bureau s’est entretenu avec divers groupes de tout le pays, comme les chefs de l’Ontario, le chef régional de l’Ontario et l’Assemblée des chefs mi’kmaqs de la Nouvelle-Écosse.

Je tiens à remercier les autres sénateurs qui ont publié des lettres ouvertes et ceux qui ont écrit directement aux sénateurs. Nous nous sommes également appuyés sur ces documents.

À mon avis, il ne s’agit pas d’une enquête exhaustive visant à déterminer si nous avons obtenu le consentement unanime de tous les détenteurs de droits du pays, mais je pense qu’il s’agit d’un échantillon plutôt représentatif qui montre qu’il faut mener un examen plus approfondi. Ce que nous avons tenté de faire avec cet amendement, c’est de modifier le projet de loi pour tenir compte de certains de ces intérêts. Il ne s’agit pas de tous les intérêts, mais il y a toujours moyen d’apporter des modifications importantes au projet de loi qui permettront de résoudre les problèmes, du moins en partie. Merci.

L’honorable Lucie Moncion : Sénateur Prosper, savez-vous que les versions anglaise et française de votre amendement ne sont pas tout à fait identiques?

Le sénateur Prosper : Je m’en excuse. Je n’en étais pas conscient. Je vous remercie de me l’avoir signalé.

Je vais m’efforcer de corriger cela, mais j’espère que la teneur générale et la substance des deux textes concordent malgré certaines incohérences. Merci.

[Français]

L’honorable Lucie Moncion : Bien que les mots soient tous là, la version anglaise et la version française ne correspondent pas. Si on lit la version en anglais et la version en français et qu’on essaie d’établir la concordance, ce n’est pas du tout la même chose. Il y a des parties du paragraphe qui sont au verso, par exemple. Lorsqu’on présente des documents de ce genre, surtout quand ils sont présentés séance tenante, il serait préférable qu’ils soient présentés correctement. Merci.

[Traduction]

L’honorable Marty Klyne : Je vais poser la même question que j’ai posée à Lisa Raitt et à mon éminent collègue, le sénateur Brian Francis.

Qu’est-ce qui empêche les Chefs tribaux et les Chefs des conseils de préparer le terrain, d’inviter le gouvernement à s’asseoir avec eux et de lui faire part de leurs attentes en matière de consultation et de participation pleines et entières? Je me pose la question : qu’est-ce qui empêche cela?

Lisa Raitt a déclaré que rien ne les en empêchait, mais que c’était une question de préséance. J’aimerais connaître votre réponse.

Le sénateur Prosper : Je vous remercie de votre question, sénateur Klyne. Je crois que la personne que vous venez de citer a bien compris la raison qui empêche les Premières Nations d’engager un dialogue là-dessus.

Je crois comprendre que les Premières Nations souhaitent engager ce dialogue, mais il faut d’abord que le gouvernement soit prêt à s’asseoir à la table des négociations et à entreprendre ces discussions de manière proactive et respectueuse. Chers collègues, c’est entièrement une question de confiance. Comme l’a dit la Cheffe, la confiance est un véritable acte de courtoisie.

Son Honneur la Présidente : Demandez-vous plus de temps, sénateur Prosper? Je crois que le sénateur Klyne aurait une question complémentaire.

Le sénateur Prosper : Oui.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Klyne : En plus d’avoir des droits inhérents et des lois coutumières nous aidant à négocier ces droits, nous disposons de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. En outre, nous avons ce que désire le gouvernement : nos ressources et notre consentement.

(1240)

La question est la suivante : avons-nous suffisamment d’importance?

Son Honneur la Présidente : Sénateur, veuillez répéter votre question.

Le sénateur Klyne : Je vais résumer.

Nous avons des droits inhérents et des lois coutumières en matière de négociation. Nous disposons également des ressources et du consentement qu’ils souhaitent. Je pense que cela suffit pour les amener à la table des négociations afin qu’ils écoutent ce que nous avons à dire et négocient avec nous.

Le sénateur Prosper : Je suis d’accord; pour avoir un véritable dialogue, il faut que deux partenaires se rencontrent de bonne foi.

Le gouvernement a fait de grands progrès vers la réconciliation, notamment avec les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et la common law en vigueur en ce qui concerne l’article 35 sur les droits des Autochtones et les droits issus de traités. Il faut un gouvernement prêt à respecter ses propres lois pour que cela se produise.

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, la fin de semaine dernière, j’ai célébré la Journée nationale des peuples autochtones en participant à la danse du soleil à la Première Nation d’Alexander, sur le territoire visé par le Traité no 6. Il s’agit d’une cérémonie sacrée marquée par le jeûne, le sacrifice et les prières ferventes pour les peuples. C’est quelque chose que je fais depuis que j’ai une vingtaine d’années. Je suis reconnaissante aux Aînés Fred et Melanie Campiou de nous avoir inclus, mon mari Allen et moi, dans leur famille cérémonielle, et je les remercie de la gentillesse et de l’humilité dont ils font preuve envers tous ceux qui les connaissent.

Vers la fin de la dernière journée de la cérémonie, le député Billy Morin et moi-même avons été invités à nous approcher de l’arbre situé au centre de la célébration. Des prières spéciales ont été dites et une chanson a été chantée pour le travail que nous accomplissons ici, au Parlement. Chers collègues, un Aîné m’a dit qu’ils chantaient pour nous tous et pour le travail que nous accomplissons ici aujourd’hui.

L’un des Aînés — un homme dont l’arrière-grand-père était signataire du Traité no 6 — m’a ensuite abordée au milieu de la cérémonie pour me parler du projet de loi C-5. Il m’a fait part de ses sérieuses réserves à l’égard de cette mesure législative. Il craignait que le projet de loi ne serve à lui enlever encore plus de terres, à lui et à son peuple. Il souhaitait venir à Ottawa pour nous parler de son attachement à ces terres et de sa connaissance approfondie de celles-ci.

À la fin de la cérémonie, dimanche soir, je suis repartie en réfléchissant à ses propos et à la période que traverse le Canada : notre besoin de sécurité énergétique et les changements géopolitiques majeurs que nous connaissons actuellement, le tout dans le contexte d’un pays qui s’efforce encore de rebâtir ses relations internes de nation à nation après plus d’un siècle d’injustice.

Je pensais au travail accompli dans cette enceinte au cours des dernières années et des dernières décennies, au chemin parcouru et à celui qui reste à parcourir.

Je pensais à une table. Permettez-moi une petite parenthèse, chers collègues : l’image qui me venait à l’esprit en quittant la danse du soleil et en rentrant chez moi dimanche soir était celle d’une table dans un champ près d’Edmonton. Chers collègues, imaginez avec moi une table qui représente le cadre législatif protégeant les droits des Premières Nations, des Métis et des Inuit.

La première patte de cette table est l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui affirme que « les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés ».

L’article 35 définit les « peuples autochtones » comme les Premières Nations, les Inuit et les Métis. Il précise que les droits issus de traités comprennent les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux qui sont susceptibles d’être ainsi acquis. Ce libellé a été approuvé par nos prédécesseurs au Sénat en décembre 1981, dans le cadre d’un processus législatif qui s’est déroulé des deux côtés de l’Atlantique.

L’inclusion de l’article 35 a été un pas majeur d’une importance cruciale. Toutefois, ces quelques lignes manquaient beaucoup de précision. Les dirigeants autochtones ont passé les trois dernières décennies à les préciser, principalement en se battant contre le gouvernement devant les tribunaux. Le processus a été long et coûteux, et les affaires sont bien trop nombreuses pour être citées individuellement. Toutefois, aujourd’hui, nous disposons d’une jurisprudence considérable sur la signification de l’article 35.

Par exemple, en 1990, dans l’affaire R c. Sparrow, la Cour suprême a établi un ensemble de critères pour déterminer si un droit autochtone est violé et dans quelles circonstances la violation peut être justifiée. À l’époque, la Cour a déclaré que l’un des facteurs à prendre en compte était de savoir si la nation autochtone en question avait été consultée ou au moins informée.

En 2004, dans l’affaire Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), la Cour est allée plus loin, estimant que le gouvernement a l’obligation légale de consulter lorsqu’il « envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur [un droit autochtone] » et qu’« une consultation menée de bonne foi pourrait à son tour entraîner l’obligation de trouver des accommodements aux préoccupations des [Autochtones] ».

La Cour nous dit ceci : « Ce qu’il faut [...] c’est [...] un processus de mise en balance des intérêts, de concessions mutuelles. » C’est ce que nous avons constaté au cours des années qui ont suivi. Les progrès ont été imparfaits et inégaux, mais dans l’ensemble, il n’y a pas de comparaison possible avec la situation qui existait avant que l’« obligation de consulter » n’entre dans notre vocabulaire.

Les choses ont évolué pour inclure les principes de dialogue, d’atténuation et d’accommodement. Cette approche ne mène pas toujours à des résultats satisfaisants pour tous, mais c’est une évolution encourageante.

Bien sûr, l’article 35 ne règle pas tout; il ne représente qu’une des pattes de la table.

En 2018, dans l’affaire Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), la Cour suprême a conclu que l’obligation de consulter ne s’applique pas au processus législatif. Cette décision a profondément frustré de nombreux peuples autochtones, ce que je comprends tout à fait.

Qu’il s’agisse ou non d’une obligation constitutionnelle, je crois assurément que c’est une bonne idée pour le gouvernement de faire participer les peuples autochtones le plus tôt possible au cours du processus législatif.

Je félicite le gouvernement précédent pour plusieurs réussites qu’il a connues sur le plan législatif après avoir mené des consultations précoces et même une tentative d’élaboration conjointe. Je pense notamment à l’ancien projet de loi C-91 sur les langues autochtones, que mon collègue le sénateur Francis a parrainé, et au projet de loi C-92 sur les services à l’enfance et à la famille pour les Autochtones, que j’ai eu l’honneur de parrainer. Il y a aussi la deuxième patte de cette table que vous gardez à l’esprit : la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Cette loi exige que le gouvernement modernise les lois fédérales afin qu’elles tiennent compte des 46 articles de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et qu’il crée et mette en œuvre un plan d’action qui atteint l’objectif de cette déclaration. Ce plan d’action a été publié il y a deux ans. Les rapports d’étape annuels sont publiés en ligne pour que nous puissions tous les consulter.

L’article 32 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui est particulièrement pertinent dans le cadre de notre débat, invite les États à obtenir des peuples autochtones un consentement donné librement et en connaissance de cause avant qu’ils n’approuvent tout projet ayant une incidence sur leurs terres ou leurs ressources.

En conséquence, le Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones engage le gouvernement à collaborer avec les peuples autochtones afin d’élaborer des lignes directrices à l’intention du gouvernement et de l’industrie pour clarifier ce que l’on entend par obtenir le consentement préalable donné librement et en connaissance de cause.

Il y a l’article 35 de la Constitution en vertu duquel, selon la Cour suprême, le gouvernement a un devoir de consultation. C’est la première patte de la table.

Il y a la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dans laquelle le Parlement indique au gouvernement d’en faire plus pour adopter comme deuxième patte le consentement préalable donné librement et en connaissance de cause.

La troisième patte de la table correspond à l’un des engagements spécifiques énoncés dans le Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, à savoir l’ajout d’une clause dérogatoire dans la Loi d’interprétation. Cet engagement a été réalisé grâce à l’ancien projet de loi S-13, que nous avons étudié au Sénat en 2023 et qui a été adopté par nos collègues de l’autre endroit en novembre dernier.

La Loi d’interprétation est une loi qui nous indique comment interpréter toutes les autres lois. L’ajout que nous avons fait l’année dernière était une mesure que les peuples autochtones réclamaient depuis plus d’un quart de siècle.

Voici ce que dit la disposition que nous avons ajoutée :

Tout texte maintient les droits — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; il n’y porte pas atteinte.

Auparavant, avant l’adoption du projet de loi S-13, certaines lois contenaient ce type de garantie, mais beaucoup n’en comportaient pas. La formulation exacte variait d’une loi à l’autre, ce qui créait des incohérences potentiellement problématiques dans la manière dont les droits des Autochtones étaient compris dans différentes situations.

Le projet de loi S-13 visait à établir une norme unique et uniforme qui s’appliquerait à tous les cas, et c’est exactement ce qu’il a fait. Cette norme s’applique à toutes les lois existantes. Elle s’appliquera à toutes les mesures législatives que nous examinerons à l’avenir, y compris le projet de loi C-5.

Avant novembre dernier, nous aurions peut-être ressenti le besoin d’ajouter une disposition de non-dérogation à ce projet de loi afin de garantir que tout le monde comprenne que, quelle que soit l’importance d’un projet, il n’est pas possible de déroger aux droits des Autochtones ou de les contourner. Chers collègues, certaines personnes ont tenté de contourner nos droits garantis par l’article 35. La disposition de non-dérogation était une mesure de protection.

(1250)

Cependant, grâce à une disposition de non-dérogation dans la Loi d’interprétation, le caractère primordial des droits des Autochtones, tels que protégés par l’article 35 de la Charte, est désormais un élément inhérent à toutes les lois, y compris celle-ci.

À ce stade, je vous remercie d’ailleurs de garder à l’esprit l’image de cette table, nous avons une table à trois pattes, toutes construites par le Parlement. Les législateurs ont approuvé le libellé de l’article 35, adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et ajouté une disposition de non‑dérogation dans la Loi d’interprétation. Les peuples autochtones se sont battus pendant plus de 50 ans pour obtenir ces changements.

Par contre, ce n’est pas à nous, législateurs, de construire la quatrième et dernière patte, celle qui assure la stabilité de la table et l’empêche de basculer.

Dans le jugement Nation haïda c. Colombie-Britannique, que j’ai cité plus tôt, la Cour suprême a conclu que le gouvernement avait l’obligation légale de consulter le groupe intéressé, la Cour a également écrit :

Dans tous ses rapports avec les peuples autochtones, qu’il s’agisse de l’affirmation de sa souveraineté, du règlement de revendications ou de la mise en œuvre de traités, la Couronne doit agir honorablement.

Dans l’arrêt Mikisew Cree First Nation c. Canada, si la cour a conclu que l’obligation de consulter ne s’applique pas au processus législatif, la majorité a néanmoins estimé que l’honneur de la Couronne s’applique.

L’honneur de la Couronne est une notion qui remonte à très loin. Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons inscrire dans la loi, mais c’est un élément essentiel du processus.

En fait, un de nos collègues s’est beaucoup exprimé sur le sujet. Je vais baser mon explication du concept sur un discours prononcé par le sénateur Arnot en 1997 — alors qu’il avait 12 ans, de toute évidence — lors de la 6e conférence commémorative annuelle de Poundmaker. Bien avant l’adoption de la Charte des droits et libertés, nous avions adopté le concept britannique selon lequel il fallait agir honorablement pour le bien du souverain. Tout au long de l’histoire, faire appel à l’honneur de la Couronne ne signifiait pas simplement :

[...] faire appel au souverain en tant que personne, mais aussi à un ensemble de principes traditionnels de justice fondamentale qui transcende les personnes et la politique [...]

C’est à partir de cette conception de l’honneur de la Couronne que la Cour suprême a tiré le concept de l’obligation fiduciaire de la Couronne dans le contexte de l’exécution des promesses contenues dans les traités et du respect des droits ancestraux.

Il y a une histoire que Fred Campiou m’a racontée et que je voudrais vous relater rapidement. Il y est question de la signature d’un traité. Mon interprétation est simpliste, mais j’espère que vous me suivrez. Au moment de signer un traité, la Couronne a entamé les négociations, le processus et la signature avec une feuille de papier, soit un document écrit à valeur juridique fondé sur le système juridique de la Couronne à l’époque. Les chefs autochtones sont venus à la signature du traité et ont demandé la tenue d’une cérémonie du calumet. Leur idée était de faire intervenir le Créateur dans cette relation. Ils voulaient développer une wahkohtowin, une relation sacrée avec les habitants de cette terre, afin qu’ils puissent participer à l’édification de la nation. Cette wahkohtowin était la conception que les dirigeants autochtones avaient de la signature des traités.

Je dirais qu’aucune des deux parties ne comprenait ce qu’elle signait à l’époque. Le gouvernement s’est saisi de ce traité et a commencé à adopter des lois qui ont eu des répercussions traumatisantes et durables sur les communautés autochtones, notamment l’enlèvement d’enfants à leur famille et la dévastation économique des communautés. Le gouvernement a adopté ces lois alors que les dirigeants autochtones pensaient encore avoir une wahkohtowin.

Lorsque j’entends des dirigeants comme le Grand Chef Greg Desjarlais, du territoire visé par le Traité no 6, qualifier le projet de loi C-5 de « grave menace pour nos droits issus de traités », ou lorsqu’un aîné me dit, lors d’une cérémonie, que le projet de loi C-5 lui enlèvera ses terres, ce que j’en déduis, c’est qu’ils ne font pas confiance à la Couronne pour agir de façon honorable, et qui peut les blâmer? Cette conduite déshonorante dure depuis plus de 150 ans.

Même les lettres que nous avons reçues et qui témoignent d’un optimisme prudent à l’égard du projet de loi, comme celles de la Première Nation de Fort McKay et du Ralliement national des Métis, sont remplies d’appels au gouvernement à agir honorablement si le projet de loi C-5 est adopté.

Je comprends la douleur causée par la conduite déshonorante de la Couronne par le passé. En toute franchise, j’éprouve aussi un certain scepticisme par rapport à l’honneur de la Couronne. Cependant, on ne peut pas adopter d’amendement pour changer cela. Il ne sera jamais possible d’adopter un projet de loi qui garantira l’honneur de la Couronne.

Les législateurs ont muni la table dont j’ai parlé de trois pattes solides : la Constitution, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et la Loi d’interprétation.

Soit dit en passant, la table que j’ai imaginée après la danse du soleil ne flotte pas dans les airs. Elle repose fermement sur les terres visées par le Traité no 6. Les traités constituent le fondement essentiel de la relation de nation à nation. Ces traités nous rappellent que nous avons une relation wahkohtowin, une relation sacrée que nous pouvons encore revendiquer.

À un certain moment, nous avons mis par écrit tout ce qui pouvait être mis par écrit. C’est un peu comme le proverbe « on ne saurait faire boire un âne qui n’a pas soif », ou, comme dirait mon époux, « on ne saurait forcer un hippie à se laver ». Nous avons tout fait. Nous avons mené l’âne jusqu’à l’abreuvoir.

Nous avons inscrit les droits des Premières Nations, des Métis et des Inuit ainsi que les droits issus de traités dans la Constitution. Nous avons adopté la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui ajoute le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause parmi les principes d’un processus de consultation. Nous avons modifié la Loi d’interprétation. Le projet de loi dont nous sommes saisis parle de tous ces éléments. Je ne pense pas que nous puissions faire davantage dans le texte du projet de loi pour protéger les droits des Autochtones.

Sénateur Klyne, nous avons préparé le terrain.

À ce moment charnière et profondément incertain pour le Canada, le gouvernement a l’occasion de réaliser de grandes choses en agissant de manière honorable. C’est l’occasion pour tous les dirigeants de se rassembler, de mener à bien le difficile travail de consultation et de compromis, de trouver un terrain d’entente et de faire progresser notre pays.

Lors d’une conférence de presse, le premier ministre a déclaré vouloir placer « [...] le partenariat avec les peuples autochtones au cœur de cette croissance ». La ministre des Services aux Autochtones a évoqué « [...] l’importance des relations [...] » dans le contexte du projet de loi C-5.

Son Honneur la Présidente : Je regrette, sénatrice LaBoucane-Benson, mais je dois vous interrompre. Souhaitez-vous demander plus de temps?

La sénatrice LaBoucane-Benson : Oui.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci, chers collègues.

Elle affirme que les relations seront « [...] une priorité et [un] élément essentiel du travail à venir ».

Je suis d’accord sur l’importance de cette relation. La relation de nation à nation — notre wahkohtowin — a toujours consisté à partager le territoire pour notre avantage mutuel. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

J’ai l’intention d’appuyer ce projet de loi, sans l’amender, avec toutes les garanties législatives déjà en place, et de me servir de mes fonctions de coordonnatrice législative pour exiger du gouvernement qu’il tienne son engagement à respecter cette relation et à se comporter avec honneur.

Je comprends l’impulsion de ralentir le processus, mais nous sommes confrontés à une crise potentielle. Comme l’a fait remarquer le président de la Fédération métisse du Manitoba, la menace d’« une guerre économique » plane sur nous, et le moteur économique du Canada risque de s’écrouler, et ce seraient les Canadiens à faible revenu et les Canadiens vulnérables qui en souffriraient le plus. Les projets devront faire l’objet de consultations. C’est là que la consultation doit se faire : à l’égard de chacun des projets, à mesure qu’ils sont proposés, car la loi l’exige déjà. Cela dit, nous devons aller de l’avant et amorcer des consultations à l’égard de véritables projets d’intérêt national.

Encore une fois, je vous remercie de votre indulgence et d’avoir accepté ma métaphore de la table. J’espère que ma table permettra aux gens de se réunir, de se consulter, de négocier et de s’écouter les uns les autres avec humilité et respect pour bâtir un avenir meilleur. Merci.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente : Le temps réservé au débat est écoulé. Sénatrice LaBoucane-Benson, je vois deux sénateurs se lever. Demandez-vous plus de temps pour répondre aux questions?

La sénatrice LaBoucane-Benson : Si le Sénat nous le permet, oui.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Prosper : Merci beaucoup d’avoir raconté cette histoire. Mon frère participe chaque année à la danse du soleil, et je comprends tout à fait ce dont vous parlez.

L’idée maîtresse de votre discours était qu’il n’y a plus rien que nous puissions vraiment faire et que l’honneur de la Couronne doit prendre racine ici. C’est la responsabilité du gouvernement.

Pensez-vous qu’une référence positive dans le projet de loi au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause pourrait fournir des orientations utiles au gouvernement et aux Premières Nations pour l’avenir? Merci.

(1300)

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci, sénateur. En ce qui concerne la mention de ce point dans le préambule, mon opinion est que le préambule énonce l’intention. Si cette question est portée devant les tribunaux — parce que, si l’honneur de la Couronne fait défaut, cela pourrait finir là-bas —, le juge examinera le préambule et demandera quelle était l’intention. Nos droits garantis par l’article 35 se trouvent dans l’intention. Nous avons donc déjà rappelé à la Couronne qu’elle doit agir honorablement.

L’honorable Denise Batters : Tout d’abord, il arrive parfois que le préambule soit malheureusement inopérant, mais c’est un bon vœu à faire.

Je tiens en fait à poser la question que le sénateur Brazeau a posée hier. Il voulait adresser cette question au parrain du projet de loi pour le gouvernement ou au gouvernement. Je veux savoir si nous pouvons obtenir une réponse pour lui. La question qu’il avait initialement adressée au sénateur Housakos, qui venait de prendre la parole, était la suivante :

Sénateur Housakos, je me préparais à aborder la rencontre avec les dirigeants autochtones en juillet, et j’avais l’intention de poser ma question au parrain du projet de loi tout à l’heure, mais je n’ai pas eu le temps.

Il a dit qu’il voulait faire preuve d’un peu de créativité pour pouvoir poser cette question. Il voulait savoir ce qui suit :

[...] quel est l’objectif exact de cette rencontre avec les organisations autochtones? Je pose cette question parce que j’ai été à la tête de l’une des cinq organisations nationales, lesquelles sont toutes financées par le gouvernement du Canada. Nombre de ces organisations sont financées pour coopérer avec le gouvernement.

Ne serait-il pas important d’obtenir des éclaircissements sur la raison pour laquelle la rencontre [se] fera avec elles, puisque ces cinq organisations autochtones canadiennes ne sont détentrices d’aucun droit et sont plutôt des organisations de lobbying politique? Hypothétiquement, que se passera-t-il si un projet du gouvernement du Canada touche le peuple algonquin? Eh bien, l’Assemblée des Premières Nations, le Ralliement national des Métis, le Congrès des peuples autochtones, l’Inuit Tapiriit Kanatami et l’Association des femmes autochtones du Canada ne représentent pas le peuple algonquin. Pensez-vous qu’il est important [...] [de] demande[r] des éclaircissements sur la nature exacte du processus de consultation qui aura lieu le 17 juillet? Est-ce que cela contribue réellement au processus pour les vraies Premières Nations du Canada?

C’était la question du sénateur Brazeau. Pouvez-vous nous donner la réponse du gouvernement. Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Le premier ministre a expressément déclaré qu’il consulterait les détenteurs de droits. Aussi importants que soient l’Assemblée des Premières Nations et le Ralliement national des Métis, ils ne sont pas des détenteurs des droits. J’ai entendu le premier ministre dire qu’il allait consulter les détenteurs de droits cet été. Puis, pour chaque projet national proposé, les détenteurs de droits touchés par ce dernier seront consultés.

Il ne faut pas croire que l’Assemblée des Premières Nations ne participera pas à ces rencontres, mais les détenteurs de droits y participeront assurément. J’espère que ma réponse conviendra au sénateur Brazeau.

L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je vais essayer d’être bref. Sénateur Prosper, merci de votre amendement et, plus précisément, merci d’avoir fait votre travail.

Chers collègues, trop souvent, nous sommes nommés à cette fonction et nous nous laissons emporter par les rouages du Parlement et de la politique. Parfois, nous nous laissons même séduire par l’influence que nous pensons avoir, mais que nous n’avons peut-être pas. Chaque fois que je vois une personne se présenter ici et faire ce qu’elle est censée faire, c’est-à-dire parler au nom de sa collectivité et la défendre, quelle que soit la région du pays dont elle est issue, je lui tire mon chapeau.

Comme vous le savez, sénateur Prosper, j’appuie le projet de loi C-5. Je l’appuie en principe parce que je pense que, depuis une décennie, notre pays aspire à exploiter ses ressources naturelles et à recommencer à créer de la richesse. Comme vous l’avez si bien dit dans votre discours, il faut créer de la richesse de manière équitable pour tous les Canadiens, qu’ils soient francophones, anglophones ou, bien sûr, autochtones, qu’ils vivent dans l’Est, dans l’Ouest ou ailleurs au pays.

J’ai toutefois des inquiétudes, comme vous et beaucoup d’autres sénateurs. Je les ai expliquées à l’étape de la deuxième lecture et je ne les répéterai pas ici. Je pense que ce projet de loi a été mal conçu. Quand j’ai pris la parole à l’étape de la deuxième lecture, je me disais que le projet de loi proposé était, en fait, un exercice politique, qui faisait suite à une campagne électorale pendant laquelle des millions de Canadiens, qu’ils aient voté pour le gouvernement ou pour l’opposition, avaient exprimé leur désir de changement après les dix dernières années. Ils estimaient que bon nombre de nos politiques étaient trop lourdes, trop bureaucratiques, et ils voulaient recommencer à mettre l’accent sur la prospérité.

Comme je l’ai déjà dit, je trouve préoccupante la présence continue des ministres Freeland, Champagne, Anand et Guilbeault, les pères et mères des projets de loi C-69 et C-48 et de toute la réglementation environnementale extrême qui a essentiellement provoqué l’inertie du secteur de l’énergie, un vecteur de richesse au pays. Cela m’inquiète grandement.

Le projet de loi sert surtout, je crois, à présenter des aspirations. J’y vois un cadre qui montre ce que le gouvernement cherche à accomplir plutôt qu’une mesure législative. Nous avons vu avec quelle rapidité il a été élaboré, sans véritable réflexion ni planification stratégique. Le gouvernement l’a déposé à la Chambre des communes, et quelques amendements intéressants y ont été apportés. La Chambre aurait pu en apporter beaucoup plus si elle avait eu davantage de temps pour examiner tous les détails. Je peux m’accommoder de la version qui nous est proposée, simplement parce que nous sommes dans une course contre la montre.

Cela dit, voici ce qui me préoccupe le plus. Ce n’est pas tant le fait que, une fois de plus, le gouvernement met un couteau sous la gorge des sénateurs en les exhortant à adopter cette mesure législative d’ici le 1er juillet, à défaut de quoi ce sera la fin du monde, selon lui. Nous savons bien que ce ne sera pas la fin du monde. Après tout, c’est le même gouvernement qui a utilisé un décret pour abolir la taxe sur le carbone qu’il défendait depuis neuf ans. Il a utilisé un décret pour éliminer la TPS sur les maisons neuves d’une valeur de 1 million de dollars.

Soit dit en passant, au Canada, on ne prend pas de décrets. C’est le genre de choses que fait Donald Trump. Au Canada, on prend des arrêtés, mais cela ne s’applique pas à ces projets de loi. Il s’agit là d’un tout autre débat pour une autre fois.

Ce qui me tracasse vraiment, c’est qu’en fin de compte, ils étaient prêts à reporter le budget à l’automne pour le perfectionner, alors qu’ils n’étaient pas prêts à reporter ce projet de loi en septembre ou en octobre pour le rendre encore meilleur. Pour votre projet de loi phare, vous n’êtes pas prêts à faire les choses correctement, à passer par toute la complexité des étapes législatives, à procéder à des examens et tout le reste. Alors, ma question est la suivante : dans quelle mesure s’agit-il d’une loi phare? Nous savons tous que la loi sera adoptée avant le 1er juillet. Nous savons qu’elle sera adoptée très rapidement. Nous savons que le gouvernement dispose d’un nombre suffisant de membres nommés ici pour que, même s’ils divisent leurs votes en trois, la loi sera adoptée, comme il se doit. La raison en est que la Chambre haute, et le sénateur Harder a tout à fait raison de le souligner, a le dernier mot. C’est la chambre élue du Parlement.

Mais c’est ici que nous tenons des débats concrets, grâce à des amendements comme le vôtre. Au cours des derniers jours, je suis devenu très préoccupé par le fait que les membres des Premières Nations ont l’impression qu’aucune consultation n’a été menée, et c’est une remarque que j’entends maintenant des divers partis représentés dans cette enceinte, mais aussi de la part de dirigeants des Premières Nations de partout au pays. Je me pose la question suivante : comment un gouvernement, qui sait à quel point ce projet de loi est essentiel pour l’avenir du pays, devant la crise économique existentielle à laquelle nous faisons face maintenant, a‑t-il pu ne pas prendre le temps de faire cela il y a un mois? Ce n’est pas nouveau. Tout au long de la campagne électorale, les libéraux ont parlé de bâtir plus d’infrastructures — de grandes infrastructures — et de réaliser des projets nationaux et des projets énergétiques. Ce n’est donc pas comme s’ils étaient allés réveiller le premier ministre il y a trois semaines en disant : « Oh, il me faut un projet de loi phare. D’ailleurs, je pense que le discours du Trône en a également fait mention. »

Nous avons donc un gouvernement qui prétend que les Premières Nations comptent pour lui, mais qui n’a pas pris le temps de mener de vastes consultations. C’est là un reproche que j’entends maintenant de toutes parts.

Bien sûr, je l’ai entendu dans votre discours. Vous nous avez rappelé certains des chapitres les plus sombres de notre histoire, la mauvaise façon dont les membres des Premières Nations ont été traités. Personne ne le nie. Notre pays ne fait pas de révisionnisme historique. Nous estimons qu’il faut tirer des leçons de l’histoire afin de ne pas répéter les erreurs du passé et d’avancer main dans la main vers la réconciliation. Je suis aussi le fils d’un immigrant qui n’est pas au Canada depuis 150 ou 100 ans; je ne suis ici que depuis 57 ans. Au cours des dernières décennies, j’ai observé une volonté chez les Français, les Anglais, les Autochtones et tous les autres citoyens du pays d’œuvrer ensemble à l’édification d’un meilleur avenir. J’ai constaté que, dans ma province, certains des meilleurs projets d’infrastructure et d’énergie avaient été réalisés en consultation et en négociation avec les Premières Nations du pays. Ces projets ont non seulement donné de bons résultats, mais ils ont aussi été avantageux pour toutes les parties concernées.

Je me demande comment un premier ministre nouvellement élu, doté d’un mandat clair et du soutien des deux Chambres du Parlement, car nous savons à quel point cette question est importante, n’a pas pris le temps de mener de vastes consultations. La leader adjointe du gouvernement a pris la parole à la Chambre et a prononcé un discours très convaincant. Elle a mis en lumière l’ensemble des projets de loi, des motions et des vérifications de dossiers que nous avons mis en place pour garantir le respect des Premières Nations. Pourtant, comme je l’ai appris au cours de mes 17 années dans cette enceinte, les lois n’ont pas beaucoup de poids. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones n’a pas beaucoup de poids, tout comme la Loi canadienne sur la protection de l’environnement. Ce ne sont que de belles motions destinées à apaiser les différentes parties prenantes et les différents groupes à divers moments d’un processus quelconque.

Elles n’ont de sens que lorsqu’un gouvernement est disposé à respecter ces lois et règles et lorsqu’il y a une volonté politique de les appuyer.

(1310)

C’est un point de vue politique et philosophique, mais je suis prêt à alléger certaines formalités administratives en matière d’environnement afin de réaliser des projets, car je crois que notre pays en a besoin. Je pense que nous sommes au bord de la faillite et que ma prophétie se confirmera dans le prochain budget qui sera présenté à l’automne. Il faut donc agir. Il faut créer des emplois. Il faut augmenter les recettes. Il faut faire rentrer les fonds publics. Nous devons commencer à rembourser les dettes et les déficits qui ont gonflé au cours de la dernière décennie. En revanche, nous ne pouvons pas nous permettre de poursuivre la construction de ces énormes projets d’infrastructure sans traiter les Premières Nations comme des partenaires à part entière. Nous ne pouvons pas nous contenter de le dire dans la loi, dans des déclarations de vertu et dans de beaux discours publics. Quand l’argent est sur la table et que nous devons répartir les fonds et déterminer quand le marché sera conclu, nous devons commencer à négocier avec les Premières Nations comme des partenaires, comme des actionnaires.

L’opposition au Sénat et à la Chambre des communes continue de soutenir le projet de loi C-5, bien que nous soyons sceptiques — optimistes, mais sceptiques — quant à la volonté politique du gouvernement de parvenir à ses fins. Nous sommes encore plus sceptiques quant à la façon dont le gouvernement traite les Premières Nations, car il ne fait que reproduire les erreurs commises dans le passé. Merci, chers collègues.

Des voix : Bravo!

L’honorable Bernadette Clement : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer l’amendement proposé par le sénateur Prosper. Je tiens à reconnaître et à déplorer le fait que votre personnel et vous ayez dû lire des propos racistes et virulents en ligne.

Je comprends l’urgence de cette mesure législative. Le Canada est dans l’incertitude, alors il faut agir. Cependant, nous ne devrions pas nous précipiter sans prêter l’oreille aux personnes qui subiront les conséquences les plus négatives de ce projet de loi. Ce ne sera ni nous ici présents, ni les décideurs politiques, ni les dirigeants des sociétés pétrolières et minières. Ce seront les collectivités et les travailleurs.

En tant qu’avocate de l’aide juridique spécialisée en matière de sécurité au travail, j’ai pu constater les conséquences d’une réglementation inefficace et laxiste. J’ai vu des clients souffrir de maladies professionnelles et de cancers causés par des lieux de travail pollués à une époque où la réglementation sur les matières dangereuses et la sécurité était moins stricte. Nous devons tirer les leçons de cette période pour ne pas répéter les mêmes erreurs.

Hier, j’ai donc déposé dix documents, dont neuf provenaient de communautés et d’organisations autochtones, ainsi que de titulaires de droits. J’aimerais raconter quelques-unes de leurs histoires, qui pourraient d’ailleurs répondre à la question que la sénatrice Coyle a posée au sénateur Prosper.

Okimaw Henry Lewis, Chef de la nation crie d’Onion Lake, a écrit :

Nos terres ancestrales sont déjà fortement frappées par les coupes à blanc de l’industrie forestière, et notre territoire se trouve dans une zone en plein développement industriel. Les méfaits de la dégradation environnementale et de la confusion entre les champs de compétence n’ont rien de nouveau pour nous. Nous vivons avec ces conséquences au quotidien.

Nous nous opposons à ce projet de loi dans son intégralité.

En tant que Chambre de second examen objectif, le Sénat a pour rôle de garantir le respect de la Constitution. Nous vous demandons de prendre en considération les répercussions considérables que le projet de loi, dans sa forme actuelle, aura sur notre peuple, nos terres et nos eaux.

Nous ne sommes pas des parties prenantes. Nous sommes des nations.

Le Chef Billy-Joe Tuccaro de la Première Nation crie Mikisew convient que les communautés souffriront. Il a écrit :

Le développement effréné de notre territoire a un coût humain. Chaque mois, parfois chaque semaine, nous enterrons des membres de notre communauté qui ont succombé à des cancers, y compris des formes rares de cancer. Nous sommes et nous avons toujours été des dommages collatéraux. Sur nos propres terres, nous avons été témoins des ravages causés par la décision de faire passer les profits avant les gens.

Gary Quisess, Chef de la Première Nation de Neskantaga, a décrit la situation de sa communauté : le coût élevé de la vie, une grave pénurie de logements et un manque d’accès aux services de base comme les soins de santé et les services de santé mentale. Les membres vulnérables de la communauté ont récemment été évacués après l’inondation du seul centre de santé du secteur. Neskantaga est visée par un avis de faire bouillir l’eau depuis 30 ans. C’est le plus long avis de faire bouillir l’eau au Canada.

Selon la description du Chef Quisess, sa communauté est depuis longtemps dans une situation d’urgence sociale. Il a écrit :

C’est pour cette raison que nous sommes aussi consternés par le fait que le Canada prétexte une « situation d’urgence » causée par la guerre tarifaire avec les États-Unis pour accéder à nos territoires et à nos ressources sans notre consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Notre message est très clair : la Constitution doit toujours être respectée au Canada, même lors de « situations d’urgence ».

Nous tenons tous à nous adapter au monde en rapide évolution où nous vivons. Nous désirons que le Canada prospère. Nous avons parfois l’impression de vivre une situation d’urgence, mais est-ce vraiment le cas? Tout le monde ici a traversé la pandémie de COVID-19. Certains d’entre nous ont perdu des êtres chers. Cela, c’était vraiment une situation d’urgence. Les populations qui n’ont pas accès à de l’eau potable ou qui souffrent de maladies liées à la pollution : cela, c’est une situation d’urgence. Est-ce que faire croître notre économie ou édifier notre pays est urgent? Oui, et c’est urgent. Cela nécessite une intervention rapide et efficace, c’est vrai, mais sans pour autant justifier la violation des droits des Autochtones et de nos protections environnementales.

L’amendement du sénateur Prosper transforme une possibilité en une obligation et il ajoute un élément réclamé par un très grand nombre de personnes : un engagement à obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des peuples autochtones. Si vous avez écouté les témoignages et examiné les mémoires présentés, vous avez pu vous rendre compte de l’importance capitale de renforcer cet engagement. En adoptant l’amendement proposé, nous respecterions la volonté des personnes qui nous ont fait part de leur rétroaction. Cela cultiverait le lien de confiance dont le sénateur Prosper a parlé tout en resserrant nos relations.

Je suis convaincue que si nous avions plus de temps, en plus de cet amendement dans le but d’expliciter l’obligation d’obtenir le consentement des communautés autochtones, beaucoup d’entre nous souhaiteraient que le libellé soit plus contraignant afin de garantir le maintien de mesures de protection environnementale rigoureuses. Cela résume bien le problème du processus en cours : on le présente comme une urgence alors que ce n’en est pas une. Je crains que, dans quelques années, il y ait davantage de clients comme les miens qui souffrent de maladies professionnelles et de cancers. Il y aura davantage d’avis de faire bouillir l’eau, il y aura d’autres coupes à blanc, et là, ce seront véritablement des situations d’urgence.

Lorsqu’il interrogeait les témoins ici même, le sénateur Prosper a parlé d’inscrire tout cela explicitement dans le projet de loi, et je suis d’accord. Toutefois, je ne suis pas d’accord avec le sénateur Housakos, qui a déclaré que le libellé des dispositions législatives n’avait pas toujours d’importance. Les mots ont leur importance. C’est la nature même de notre travail ici. Nous inscrivons des mots dans les projets de loi et, oui, nous espérons toujours que la volonté politique sera au rendez-vous, bien sûr.

Il se pourrait fort bien que je vote en faveur du projet de loi C-5 en fin de compte, car quand je me promène dans ma collectivité, je constate que les Canadiens sont angoissés. Nous entendons le message de nos concitoyens : ils veulent des mesures concrètes et ils trouvent que ce projet de loi en est peut-être une. Je les comprends.

[Français]

Je comprends que les Canadiens soient nerveux et inquiets. Je comprends qu’ils veuillent de l’action et qu’ils voient de l’action dans ce projet de loi.

[Traduction]

En tant que sénatrice, je dois toutefois écouter, remettre des choses en question, examiner des projets de loi et proposer des amendements pour les améliorer. L’amendement proposé améliorera le projet de loi. Ce sera une amélioration pour les communautés autochtones, parce que nous devons adopter une vision à long terme quand nous légiférons, et parce qu’il favorise la confiance et l’établissement de relations, ce qui améliore le projet de loi pour nous tous.

Pour terminer, je citerai Pam Palmater, membre de la Première Nation Eel River Bar et titulaire de la chaire en gouvernance autochtone à l’Université métropolitaine de Toronto. Voici ce qu’elle a dit quand elle s’est entretenue avec Desmond Cole à l’émission The Breach Show :

Les mesures qui visent à protéger l’environnement ne sont pas des formalités administratives. Les droits des Autochtones ne sont pas des formalités administratives, et les droits et la protection des travailleurs n’en sont décidément pas non plus. Les formalités administratives, c’est lorsqu’il faut remplir 50 formulaires identiques et attendre que quelqu’un les tamponne et lorsque la bureaucratie cause des retards. Aucun de ces droits garantis par la loi au Canada n’est une formalité administrative.

Merci. Nia:wen.

Des voix : Bravo!

L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, j’ai le privilège d’être assis à côté d’un homme incroyablement inspirant et intègre, et cela me réjouit vraiment. J’aime l’idée d’étudier des projets de loi très ciblés et courts. Ce n’est pas le cas du projet de loi à l’étude aujourd’hui, et nous prenons connaissance de la complexité des problèmes à résoudre quand l’objectif est ambitieux et difficile à atteindre.

C’est pourquoi je désire mettre l’accent sur le sérieux de l’engagement du premier ministre à respecter les droits et à assumer les responsabilités qui ont été énoncées par la sénatrice LaBoucane-Benson.

Des projets de loi comme celui-ci exigent des compromis et de la confiance. Je ne pense pas que nous ayons déjà adopté un projet de loi méritant une note supérieure à B ou B+ depuis que nous sommes ici. Nous n’avons pas souvent l’occasion d’étudier des projets de loi qui méritent un A. Ils ont tous des défauts et des lacunes. Il faut prendre conscience que nous sommes tenus de faire mieux.

(1320)

Le projet de loi C-5 est l’une de ces mesures législatives ébahissantes qui nous obligent à travailler main dans la main sur les changements climatiques, l’objectif global de carboneutralité, la production d’énergie, les protections environnementales, les droits des Autochtones, les préoccupations et les doléances des provinces, le tout dans un seul et même texte législatif. C’est un des projets de loi les plus difficiles que nous ayons jamais étudiés.

Dans la liste, je pense que les Autochtones du Canada se trouvent dans un contexte particulier, étant donné les pratiques passées du pays. Je fais partie d’un sous-groupe de l’espèce humaine qui a causé beaucoup de tort dans le passé. Je reconnais donc ce décalage en m’exprimant sur la question. De nombreux préjudices ont érodé la confiance que nous leur inspirons. Comme l’a dit le sénateur Francis, après des générations de préjudices et d’exclusion, les Autochtones canadiens ont plus à perdre qu’à peu près n’importe qui d’autre. Je pense qu’il y a beaucoup de vérité dans ce constat très simple et très direct.

Le premier ministre a défini très clairement une condition préalable à tout projet qu’il entend examiner en vertu de la partie 2, à savoir que celui-ci doit jouir de l’appui des Autochtones. Il l’a dit aux provinces avant leur rencontre : présentez des projets, mais ils doivent avoir l’appui des Autochtones.

Considérons aussi l’honneur de la Couronne : non seulement le roi Charles a dit en ses propres mots combien les paroles et les gestes sont importants dans les relations avec les peuples autochtones du Canada, mais il a aussi relayé les mots du premier ministre. Le premier ministre a donc fait faire des promesses au monarque. Il existe toutes sortes de relations et d’ententes — je les appelle « ententes » parce que je pense que c’est ainsi que les gens devraient considérer les traités. Ce sont des ententes. Au Canada, nous aimons honorer nos ententes; pourtant, nous n’avons pas honoré celles-là. L’engagement suivant a donc été pris :

Pour bâtir un Canada fort, le Gouvernement travaille de près avec les provinces, les territoires et les peuples autochtones afin de repérer et propulser des projets d’intérêt national.

Le gouvernement ajoute qu’il entend accélérer la réalisation de grands projets « dans le respect des normes environnementales du Canada, qui sont de calibre mondial, et de ses obligations constitutionnelles envers les peuples autochtones ».

On peut lire plus loin :

Le Gouvernement sera un partenaire fiable pour les peuples autochtones et respectera son engagement fondamental à faire progresser la réconciliation. La création d’une richesse et d’une prospérité durables en collaboration avec les peuples autochtones est ce qui caractérise cet engagement.

Ce sont là les engagements que le premier ministre a demandé au roi Charles III de prendre au nom du gouvernement.

Les droits, les terres et les processus ont été bafoués dans le passé. Le premier ministre Carney a promis de tracer une nouvelle voie et d’instaurer une nouvelle pratique. S’il ne le fait pas... et je me souviens d’avoir vu la séquence vidéo où vous étiez près de la Chambre des communes et vous disiez : « Si vous ne le faites pas maintenant, vous aurez à le faire plus tard devant les tribunaux. » Je pense que le premier ministre doit savoir que si on n’établit pas une nouvelle pratique dès maintenant, cela finira par tout ralentir à long terme. L’objectif même de ce projet de loi sera compromis.

Pour revenir à hier soir, la sénatrice Duncan a prononcé un discours très passionné sur le modèle de réussite qu’elle et bien d’autres ont travaillé fort à mettre en place au Yukon. Nous devons compter sur le premier ministre pour l’appliquer partout ailleurs. Ce n’est pas la pratique générale. Le fait que nous en parlions aussi longuement au Sénat et que cette question suscite autant d’inquiétudes dans cette enceinte renforce, selon moi, l’idée que si ce nouveau modèle n’est pas suivi, les recours judiciaires seront d’autant plus justifiés que nous aurons exprimé à ce sujet les vives préoccupations qui sont les nôtres actuellement dans cette enceinte.

J’espère donc que le premier ministre dirigera un processus de mise en œuvre pour ce projet de loi en s’inspirant des modèles de réussite comme celui dont la sénatrice Duncan a si bien parlé hier soir. C’est dans cette optique que j’évalue ce projet de loi.

Je respecte vraiment la passion et l’intégrité dont vous faites preuve, sénateur Prosper. Merci.

Le sénateur Prosper : Merci.

[Français]

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, j’aimerais vous expliquer pourquoi je vais m’opposer à cet amendement et appuyer l’adoption du projet de loi C-5 sans amendement.

Je parlerai particulièrement de la partie 2, qui édicte la Loi visant à bâtir le Canada, à la suite d’une réflexion approfondie que j’ai menée par rapport aux préoccupations qui ont été soulevées au Sénat en comité plénier et aux discours qu’ont prononcés certains collègues.

Cette loi vise à doter notre pays des outils nécessaires pour affronter les défis et les bouleversements causés par la guerre tarifaire en cours menée par l’administration américaine.

Mon intervention se divisera en trois parties : le contexte économique entourant le projet de loi C-5 et le besoin urgent d’outils spéciaux pour y répondre, les préoccupations soulevées par les groupes environnementaux et les préoccupations soulevées en relation avec les droits des peuples autochtones.

[Traduction]

Chers collègues, le contexte économique entourant le projet de loi C-5 justifie son adoption rapide. Au cours des six mois qui ont suivi l’arrivée au pouvoir du président Trump, le Canada a fait face à une série de mesures tarifaires réelles ou projetées, notamment l’imposition récente de droits de douane de 50 % sur l’aluminium et l’acier. Nos relations commerciales avec notre voisin, qui demeure notre plus proche allié, subissent un changement fondamental marqué par une imprévisibilité croissante. En conséquence, nos exportations vers les États-Unis diminuent, des gens sont mis à pied et de grands projets sont annulés ou reportés.

Selon un récent rapport de Bloomberg, le Canada est déjà entré en récession. Dans de telles circonstances, le gouvernement doit prendre des mesures audacieuses pour favoriser la réalisation de projets susceptibles de renforcer l’économie canadienne et de créer des emplois. C’est précisément ce que la Loi visant à bâtir le Canada vise à faire en fournissant des moyens de favoriser la réalisation rapide de grands projets d’intérêt national qui soutiennent l’objectif ambitieux, mais tout à fait réalisable, selon moi, du gouvernement de faire du Canada l’économie la plus forte du G7.

Je passe maintenant à mon deuxième point, à savoir les diverses préoccupations soulevées par les groupes environnementaux. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le fait de libérer le potentiel économique du Canada doit aller de pair avec la protection de l’environnement. Je crois aussi que le premier ministre Carney, qui était, jusqu’à récemment, l’envoyé spécial des Nations unies pour le financement de l’action climatique et qui est à l’origine de l’alliance bancaire Net Zéro des Nations unies, est la personne la mieux outillée pour libérer l’énorme potentiel économique du Canada tout en respectant l’environnement.

Je ne suis donc pas surpris de voir dans le préambule de la Loi visant à bâtir le Canada l’engagement du gouvernement à faire respecter des normes rigoureuses de protection de l’environnement, et à l’article 4a, une déclaration claire selon laquelle la protection de l’environnement est l’un des objectifs de la loi.

Le projet de loi prévoit également qu’au moment de décider s’il y a lieu d’ajouter le projet à l’annexe 1, le gouverneur en conseil peut tenir compte de la mesure dans laquelle le projet peut contribuer à la croissance propre et à l’atteinte des objectifs du Canada en matière de lutte contre les changements climatiques, comme nous le voyons au paragraphe 5(6).

De plus, certaines dispositions de la loi prévoient une plus grande transparence qui encouragera les questions à la Chambre, au Sénat et au sein du public sur les enjeux environnementaux et les mécanismes que le gouvernement utilise pour les gérer, comme les motifs des ordonnances prises au titre de la loi; un registre public; le contenu des autorisations délivrées aux promoteurs de projets, y compris toutes les exigences; et la divulgation publique de tous les documents et renseignements utilisés pour délivrer l’autorisation. Cette disposition permanente sur la transparence favorisera les questions, y compris en matière d’environnement.

(1330)

De plus, la loi, telle qu’amendée, empêche le gouvernement d’ajouter des projets à la liste pendant que le Parlement est prorogé ou dissous. Cela signifie que le gouvernement ne peut exercer ses pouvoirs spéciaux que si le Parlement siège et qu’il est en mesure de remettre en question les décisions du gouvernement et de convoquer des réunions de comités parlementaires pour examiner ces décisions.

Enfin, l’article 24 prévoit que l’examen en continu de l’utilisation par le gouvernement des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi doit être guidé par l’intérêt général du Canada, y compris par la qualité de l’environnement. Cet examen en continu sera effectué par un comité mixte spécial composé de députés et de sénateurs dont fait état la Loi sur les mesures d’urgence. Le sénateur Harder était membre de la précédente mouture de ce comité. Ce dernier doit examiner l’exercice des pouvoirs conférés au gouvernement par la loi et faire rapport aux deux Chambres au moins une fois tous les 180 jours. Ledit processus d’examen portera sur toutes les décisions qui seront prises.

Et, bien sûr, toute décision du gouvernement peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire si elle enfreint les dispositions de la loi, si elle est contraire au but et aux objectifs de la loi, ou si elle va à l’encontre de la Charte des droits et libertés ou de toute autre loi applicable. Les groupes environnementaux ont déjà eu recours à de tels contrôles par le passé et ils ont obtenu gain de cause.

Je passe maintenant aux préoccupations soulevées par certains dirigeants autochtones, notamment en ce qui concerne la nécessité de consulter et d’obtenir un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Soit dit en passant, en examinant le libellé, j’ai compté au moins 10 mentions précises des droits et des intérêts des Autochtones. De plus, à la suite d’un amendement adopté vendredi dernier à la Chambre des communes, le paragraphe 21(2) interdit expressément de contourner la Loi sur les Indiens.

Il est également important de distinguer trois étapes importantes qui ont été confondues dans certains discours : premièrement, la phase de mise en œuvre de cette mesure législative; deuxièmement, la sélection des grands projets, qui mènerait à une approbation; et troisièmement, la réalisation des projets approuvés.

En ce qui concerne le premier point, soit la mise en œuvre de ce projet de loi, je crois comprendre que le premier ministre rencontrera séparément les Premières Nations, les Inuit et les Métis en juillet afin de discuter du cadre de mise en œuvre de la loi.

En ce qui a trait à la deuxième étape, lorsqu’elle a comparu devant nous, la ministre des Relations Couronne-Autochtones a déclaré que le nouveau bureau comprendra un conseil consultatif autochtone. Par conséquent, un point de vue autochtone sera intégré au processus de sélection des projets.

Au sujet de la troisième étape, la loi indique clairement qu’il est obligatoire de consulter les peuples autochtones dont les droits pourraient être affectés par tout projet explicitement approuvé.

Par ailleurs, chers collègues, avant que tout travail puisse être effectué sur le terrain, le gouvernement et les promoteurs doivent s’assurer que les droits inscrits dans notre Constitution, à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, sont pleinement respectés. La législation, y compris ce projet de loi, ne peut pas passer outre les protections constitutionnelles de l’article 35, qui prévoit l’obligation de consulter les peuples autochtones.

Pour citer le ministère de la Justice :

Lorsque la Couronne envisage de prendre une décision susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux ou issus de traités protégés par l’article 35, la Couronne a l’obligation de consulter le groupe titulaire des droits [...]

Il poursuit en disant : « La Couronne et les peuples autochtones doivent participer aux consultations de bonne foi [...] »

Ensuite :

L’étendue et le contenu de l’obligation varient selon les circonstances et dépendent de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit [...]

Cela découle des décisions de la Cour suprême dans les arrêts Haïda et Mikisew.

Par ailleurs, les consultations de bonne foi peuvent avoir pour effet de révéler une obligation d’accommodement, comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Haïda. Il convient également de souligner que l’article 35 ne peut être enfreint à la légère. En fait, la Cour suprême s’est largement inspirée de la jurisprudence relative à l’article 1 pour faire peser sur le gouvernement une lourde charge de la preuve en cas de non-respect de l’article 35. Comme le résume le ministère de la Justice :

[...] dans l’arrêt Sparrow, où la Cour suprême du Canada a élaboré un processus analytique en deux étapes, dont la première consiste à déterminer si la mesure avait un objectif législatif régulier. Dans l’affirmative, on passe à la deuxième étape, qui se fonde sur la relation de fiduciaire qu’entretient la Couronne avec les peuples autochtones et les objectifs de réconciliation. À cette étape de l’analyse, le critère doit être adapté au contexte juridique et factuel dans lequel il y a eu atteinte. Les questions à aborder varient selon les circonstances, mais il y a notamment la question de savoir si on a porté le moins possible atteinte à des droits, si une juste indemnisation a été versée et si le groupe a été consulté.

Autrement dit, l’article 35 offre aux peuples autochtones de solides protections constitutionnelles que le Canada doit respecter, y compris dans le cadre des mesures qu’il prendra en vertu de la Loi visant à bâtir le Canada.

Dans l’ensemble, je suis convaincu que l’exécutif exercera les pouvoirs conférés par la loi en toute bonne foi et dans le respect de ses obligations envers les peuples autochtones. Si l’exécutif outrepasse ses pouvoirs, mon expérience comme juge d’appel me dit que les tribunaux n’hésiteront pas à intervenir.

À ce sujet, j’aimerais vous faire part d’une décision historique. Bon nombre d’entre vous n’étaient pas encore nés lorsqu’elle a été rendue. Il s’agit de la décision Kanatewat, qui a été rendue dans ma province, le Québec, avant l’existence de la Loi constitutionnelle de 1982 et de l’article 35 que nous connaissons aujourd’hui. C’était au début des années 1970. J’étais encore adolescent.

En 1971, le Québec a annoncé un vaste projet hydroélectrique dans le Nord de la province. Le plan proposé prévoyait la création de grands réservoirs qui inonderaient de vastes territoires habités par les Cris et les Inuit, qui ont demandé une injonction devant la Cour supérieure du Québec.

Le 15 novembre 1973, la Cour supérieure du Québec a rendu une décision historique de 183 pages accordant une injonction interlocutoire qui a mis fin aux travaux ce jour-là.

Bien que cette décision ait été suspendue dans la semaine qui a suivi, puis cassée en appel, elle a donné lieu à des négociations qui ont abouti au premier accord et traité moderne portant sur des revendications territoriales autochtones : la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

Chers collègues, nos cadres juridiques et sociaux ont beaucoup évolué au cours des 50 années qui se sont écoulées depuis ce jugement de la Cour supérieure du Québec. Les droits des peuples autochtones sont désormais reconnus plus explicitement et protégés plus fermement, à juste titre, notamment grâce à l’article 35 et à la jurisprudence connexe. Dans le Canada d’aujourd’hui, je suis convaincu que les tribunaux se montreront fermes et interviendront si le gouvernement manque à ses obligations envers les peuples autochtones.

[Français]

En conclusion, honorables sénatrices et sénateurs, nous avons devant nous un projet de loi qui confère des pouvoirs importants à l’exécutif, mais qui établit aussi des exigences claires en matière de transparence et de contrôle démocratique et qui s’inscrit dans un cadre constitutionnel qui protège les droits ancestraux et les droits de tous les Canadiens en vertu de la Charte.

Pour moi, cela représente un juste équilibre entre nos principes et les priorités en jeu. C’est pourquoi je vous invite à faire comme moi et à voter contre cet amendement et en faveur du projet de loi.

Merci. Meegwetch.

(1340)

[Traduction]

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Elle est rejetée. Je n’ai pas entendu de oui.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Des voix : Quinze minutes.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Le vote aura lieu à 13 h 55.

Convoquez les sénateurs.

(1350)

La motion d’amendement de l’honorable sénateur Prosper, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Al Zaibak McPhedran
Ataullahjan Miville-Dechêne
Batters Pate
Black Prosper
Clement Quinn
Downe Robinson
Francis Seidman
Hay Simons
Housakos Smith
Karetak-Lindell Tannas
MacDonald Verner
Manning Wells (Terre-Neuve-et-Labrador)
Martin White
McCallum Wilson—28

CONTRE
Les honorables sénateurs

Arnold Kutcher
Arnot LaBoucane-Benson
Boehm Lewis
Boudreau Loffreda
Boyer McNair
Burey Mégie
Busson Mohamed
Cardozo Moodie
Cormier Muggli
Coyle Oudar
Cuzner Patterson
Dalphond Petitclerc
Deacon (Nouvelle-Écosse) Petten
Dean Pupatello
Dhillon Ravalia
Duncan Richards
Forest Ringuette
Gignac Saint-Germain
Gold Sorensen
Harder Surette
Hébert Varone
Henkel Woo
Kingston Youance
Klyne Yussuff—48

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs

Aucoin Marshall
Gerba McBean
Ince Moncion
MacAdam Senior—8

(1400)

Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Yussuff, appuyée par l’honorable sénateur Varone, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, je ne sais pas si c’est pareil pour vous, mais j’ai l’impression d’être en salle de classe à la dernière journée d’école. On ressent beaucoup de fébrilité dans la salle, et je suis conscient que je retarde cette fin des classes.

Je tiens à remercier tous les sénateurs qui se sont exprimés à l’égard de ce projet de loi et qui ont proposé des amendements. Je remercie tout particulièrement le parrain du projet de loi pour la diligence dont il a fait preuve afin de faire progresser l’étude de cette importante mesure législative.

J’ai déjà communiqué à chacun de vous par courriel mon intention de proposer deux amendements. En fait, j’ai laissé entendre que c’était mon intention tôt dans le débat, au cours de l’étude en comité plénier, lorsque j’ai posé à la ministre des questions portant précisément sur la teneur des amendements que je vais proposer.

Permettez-moi d’abord de préciser que j’appuie le projet de loi C-5, pour toutes les raisons décrites par d’autres partisans du projet de loi. Ainsi, j’estime que mes amendements respectent l’esprit du projet de loi et visent simplement à corriger ce qui m’apparaît comme des omissions ou des incohérences, intentionnelles ou non, dont même le gouvernement reconnaît l’existence.

Depuis que j’ai fait part de mon intention, j’ai eu la chance d’avoir des conversations avec des représentants du gouvernement qui m’ont assuré qu’ils reconnaissaient les lacunes que j’ai soulignées dans le projet de loi et qu’ils chercheraient à les corriger. Je n’en dirai pas plus sur ces conversations essentiellement privées, bien qu’il soit possible, bien sûr, que le gouvernement en dise davantage à ce sujet à la fin de mon discours.

Chers collègues, les deux points que je soulèverai sous peu concernent d’abord une incohérence dans le projet de loi qui découle d’un amendement adopté par la Chambre des communes. Comme vous le savez, le projet de loi énonce un certain nombre de facteurs à prendre en considération pour désigner des projets d’intérêt national. Cette désignation s’appuie sur cinq critères.

Parallèlement, il y a une nouvelle disposition dans le projet de loi — là encore proposée et adoptée par la Chambre des communes — qui établit un registre dans lequel on consignera les façons dont les projets jugés d’importance nationale ont satisfait aux critères de sélection initiaux. Curieusement, la liste des critères du registre ne correspond pas à la liste de la section « Facteurs » du projet de loi. Le point manquant est à l’alinéa e), soit « contribuer à la croissance propre et à l’atteinte des objectifs du Canada en ce qui a trait aux changements climatiques ».

Il est très curieux que, d’une part, nous établissions un critère pour désigner un projet et que, d’autre part, nous n’ayons pas l’obligation de rendre compte du projet après l’avoir sélectionné. Le gouvernement nous a assuré que ce n’était pas son intention, comme l’a dit publiquement le sénateur Yussuff. Je crois que c’est vrai. Je crois également que si cet amendement n’est pas adopté au Sénat, il fera tout son possible pour remédier à la situation.

Cependant, cela soulève la question de savoir comment cette incohérence s’est produite. Il semble qu’elle découle d’un amendement qui a été proposé en comité par un député conservateur. Je ne sais pas. Il se peut que cela soit passé en douce et que les gens n’y aient pas porté attention. Nous pourrions offrir des interprétations moins charitables, mais une interprétation serait qu’on a l’intention d’accorder moins de poids à ce critère, et je pense que ce serait injuste, vu ce que nous voulons voir dans la classification et la désignation des projets nationaux.

Je le redis, je crois que le gouvernement a véritablement l’intention de régler ce problème dès que possible, et il se peut bien qu’il doive le faire en l’absence d’un amendement que nous serions appelés à examiner, mais nous sommes dans une situation de gouvernement minoritaire, et il se peut que des partisans de l’autre Chambre soient déterminés et qu’ils expriment clairement leur volonté d’exclure l’alinéa e) de la disposition relative au registre. C’est le premier amendement que je vais proposer sous peu.

Le deuxième amendement est un peu plus ésotérique, mais je l’ai évoqué tellement souvent dans mes interventions que vous en saisissez l’essentiel. Il a trait à la Loi sur les textes réglementaires, qui a été pratiquement abrogée par ce projet de loi.

La Loi sur les textes réglementaires est une loi obscure qui établit des procédures, des obligations en matière de préparation de rapports et divers processus de consultation qui peuvent sembler fastidieux et être qualifiés à juste titre de « formalités administratives inutiles ».

Je comprends que le gouvernement souhaite supprimer certaines de ces lourdeurs administratives et bureaucratiques, non seulement pour accélérer le processus d’approbation des projets, mais aussi, et surtout, pour donner aux promoteurs de projets l’assurance que les projets d’intérêt national ne seront pas paralysés.

(1410)

Je pense que c’est un bon objectif. Ce que je m’apprête à proposer n’y fait aucun obstacle.

Mais la Loi sur les textes réglementaires, aussi vaste soit-elle, comprend également une disposition qui confère des pouvoirs au Comité mixte permanent d’examen de la réglementation, dont j’ai eu l’honneur de faire partie et de présider lors des législatures précédentes. Ce comité examine les règlements et les instruments réglementaires adoptés en vertu des projets de loi que nous adoptons afin d’assurer leur conformité aux projets de loi adoptés.

Il est évident que nous ne pouvons pas entrer dans les détails des réglementations nécessaires à l’entrée en vigueur d’un projet de loi. C’est pourquoi il y a, au sein de ce Parlement et de tous les parlements inspirés du modèle de Westminster, ce type de comité chargé d’examiner la conformité des règlements avec la loi.

Malheureusement, en supprimant en bloc l’application de la Loi sur les textes réglementaires, l’article 19 de cette loi prend également effet, ce qui invalide le travail du Comité mixte permanent chargé de l’examen des règlements.

Le gouvernement répondra à juste titre qu’un autre mécanisme a été mis en place par des amendements adoptés à la Chambre des communes, à savoir le comité d’examen parlementaire. Ce comité est fondé sur les pouvoirs conférés par la Loi sur les mesures d’urgence. Je crois comprendre qu’il s’agira également d’un comité mixte qui aura le pouvoir d’examiner l’application de la loi. C’est une bonne mesure, mais elle ne constitue pas un véritable comité d’examen de la réglementation, essentiellement pour deux raisons.

La première est que le comité d’examen parlementaire adoptera une approche plus générale pour déterminer si le ministre a exercé ses pouvoirs correctement et si l’application du projet de loi C-5 est correcte dans ses grands traits.

Je ne pense pas que ce comité entrera dans les détails techniques ni qu’il aura l’expertise technique nécessaire pour relever d’éventuelles petites erreurs juridiques dans les règlements associés au projet de loi lui-même. Ce type de travail spécialisé, qui nécessite le soutien spécialisé d’un secrétariat technique dont c’est la seule mission, c’est-à-dire d’une équipe juridique, peut être fait par le Comité mixte permanent d’examen de la réglementation.

De plus, le mécanisme d’examen parlementaire établi n’a pas de pouvoir de désaveu. Le pouvoir de désaveu, c’est ce qui permet au Comité d’examen de la réglementation, à l’issue d’un processus rigoureux d’enquête et de questionnement des représentants du gouvernement, voire d’un ministre, de rejeter un règlement parce qu’il n’est pas conforme à la loi.

Précisons que ce pouvoir n’est exercé que très rarement. Son exercice doit faire l’unanimité au sein du comité, lequel est typiquement non partisan. À la législature précédente, nous avons malheureusement dû aviser le gouvernement de notre intention de rejeter un règlement dans cinq domaines. Je vous épargne les détails et dirai simplement que le fait d’avoir avisé le gouvernement de notre intention de rejeter des règlements pris en application de cinq lois distinctes a, dans certains cas, amené les ministères à prendre des mesures correctives, tandis que, dans les autres cas, on y travaille encore.

Bref, ce pouvoir est réel, il peut avoir une incidence positive pour faire en sorte que les règlements soient conformes à la loi, et on l’exerce avec parcimonie. Il n’y a aucune raison de croire que ce comité traiterait l’examen du projet de loi C-5 d’une manière différente.

Cela dit, il y a peut-être un moyen pour le comité d’examen parlementaire d’incorporer l’examen de la réglementation dans ses travaux. Si cet amendement n’est pas adopté, peut-être pourrons-nous nous pencher collectivement sur la question, ou peut-être le gouvernement pourrait-il proposer une solution.

Chers collègues, je vais vous lire le texte de l’amendement dans un instant. Je tiens à dire que j’espère qu’il sera adopté, mais je ne vais pas insister sur la tenue d’un vote par appel nominal. Si l’amendement est rejeté, je partirai du principe que c’est parce que nous faisons confiance au gouvernement pour régler le problème lui-même et que cela se fera d’une manière ou d’une autre.

Rejet de la motion d’amendement

L’honorable Yuen Pau Woo : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-5 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 4 :

a) à la page 11, par adjonction, après la ligne 27, de ce qui suit :

« (8.1) Malgré le paragraphe (8), l’article 19 de la Loi sur les textes réglementaires s’applique aux décrets pris en vertu des paragraphes (1), (3) ou (4) comme s’ils étaient des textes réglementaires.

(8.2) Malgré le paragraphe (8), l’article 19.1 de la Loi sur les textes réglementaires s’applique aux décrets pris en vertu des paragraphes (1), (3) ou (4) comme s’ils étaient des règlements. »;

b) à la page 12, par substitution, à la ligne 6, de ce qui suit :

« sultats énoncés aux alinéas 5(6)a) à e); »;

c) à la page 14, par adjonction, après la ligne 7, de ce qui suit :

« (7.1) Malgré le paragraphe (7), l’article 19 de la Loi sur les textes réglementaires s’applique au document comme s’il était un texte réglementaire.

(7.2) Malgré le paragraphe (7), l’article 19.1 de la Loi sur les textes réglementaires s’applique au document comme s’il était un règlement. ».

L’honorable Paula Simons : J’ai une question à poser. Y a-t-il un risque, en raison de la divergence entre les deux listes — celle des exigences et celles des réglementations —, qu’une contestation judiciaire soit lancée si cette question n’est pas réglée?

Le sénateur Woo : Merci, sénatrice Simons. Pour répondre à votre question, oui, il y a un risque. C’est une autre raison pour laquelle ce problème devrait être corrigé.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je prends la parole brièvement au sujet de l’amendement proposé par notre collègue, le sénateur Woo. Avec tout le respect que je lui dois, je vais vous encourager à vous y opposer.

Je tiens d’abord à saluer le travail que le sénateur Woo a accompli et qu’il continue d’accomplir pour examiner et mettre en lumière notre système de réglementation, ainsi que la question fondamentale et l’importance de la reddition de comptes au Parlement. Je tiens également à souligner — et cela ne surprendra personne ayant travaillé avec le sénateur Woo depuis aussi longtemps que moi — l’attention qu’il porte aux détails en sa qualité de législateur, car il sait repérer ces problèmes très tôt. Merci aussi d’avoir porté ces problèmes à l’attention du gouvernement; nous vous en sommes reconnaissants.

Le sénateur Woo a signalé que l’article 24 du projet de loi établit un comité d’examen parlementaire qui assurera effectivement la surveillance de toutes les facettes de la Loi visant à bâtir le Canada, y compris l’adoption de règlements prévus aux articles 22 et 23 proposés dans la loi. À cela s’ajoute le rôle très important et essentiel que continuera de jouer le Comité mixte permanent d’examen de la réglementation en offrant un niveau supplémentaire de surveillance parlementaire.

(1420)

En effet, comme le sénateur Woo l’a souligné — et nous étions ici pour l’entendre —, le ministre LeBlanc a fait la déclaration suivante lors de notre audience en comité plénier la semaine dernière : « C’est une responsabilité parlementaire importante que les deux Chambres assument depuis très longtemps. » Je précise encore une fois que cela fait référence au rôle du Comité mixte permanent.

En s’adressant au sénateur Woo, le ministre LeBlanc a ajouté qu’il serait « ravi de travailler avec ce comité » afin de veiller à préserver le respect fondamental du Parlement, comme vous l’avez dit. D’ailleurs, sénateurs, vous avez tous déjà reçu la communication diffusée par le ministre LeBlanc hier, où il précise que le gouvernement s’engage à collaborer avec le Comité mixte permanent d’examen de la réglementation afin de veiller à ce qu’il continue de tenir un rôle de premier plan dans l’examen du processus de réglementation qui découlera de la Loi visant à bâtir le Canada.

Au comité plénier, vous vous souviendrez peut-être que le sénateur Woo a demandé au ministre de donner des exemples d’autres lois fédérales qui ne sont pas assujetties à la Loi sur les textes réglementaires. En fait, l’approche adoptée dans le projet de loi à l’étude n’est pas sans précédent dans le contexte des lois fédérales. Permettez-moi de citer les exemples suivants : les décrets désignant des projets en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact; les règlements désignant un pays comme tiers pays sûr en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés; divers décrets en vertu de la Loi sur les pêches; divers décrets en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999); les décrets d’urgence en vertu de la Loi sur les espèces en péril; et les décisions prises en vertu de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, pour n’en nommer que quelques-uns.

Sénateurs, pour être clair, le projet de loi C-5 garantira toujours que tout règlement sera justifié et rendu public selon le processus réglementaire normal et qu’il sera soumis à l’examen du comité d’examen parlementaire, auquel j’ai fait référence plus tôt dans mon discours.

Je vais maintenant aborder brièvement l’autre question soulevée par le sénateur Woo, qui concerne l’omission de l’alinéa 5(6)e) à propos de la croissance propre et des changements climatiques comme l’un des cinq facteurs que le gouverneur en conseil peut prendre en considération lorsqu’il décide de prendre ou non un décret dans le cadre du nouveau registre qui sera établi aux termes de la loi. Je ne suis pas ici pour spéculer et je me joins au sénateur Woo pour ne pas spéculer sur les raisons pour lesquelles cela a été adopté tel quel. Je suis ici pour vous faire part de l’intention du gouvernement à cet égard. Le gouvernement entend respecter l’intention du législateur, qui est et restera de rendre compte de tous les facteurs pris en considération aux alinéas 5(6)a) à 5(6)e), y compris les contributions à la croissance propre et à la réalisation des objectifs du Canada en matière de changements climatiques dans l’intervalle.

Telle est l’intention déclarée du gouvernement, et je suis ici devant vous en tant que représentant du gouvernement au Sénat pour l’affirmer. Cela dit, par souci de clarté et de certitude sur le plan juridique, je peux également confirmer au Sénat que le gouvernement a l’intention de corriger ce problème dès qu’une fenêtre législative s’ouvrira et qu’il tiendra cet engagement. Cela a également été réitéré ici, hier, par notre collègue le sénateur Yussuff, lui-même parrain du projet de loi. Une fois le projet de loi C-5 adopté — comme il le sera aujourd’hui, j’ose l’espérer —, tous les facteurs énoncés dans les exigences en matière de rapports, y compris l’alinéa 5(6)e), seront respectés et maintenus jusqu’à ce que cette correction soit apportée.

Chers collègues, permettez-moi de conclure en reprenant certains des points que vous avez déjà soulevés au cours du débat d’hier et d’aujourd’hui. Le projet de loi C-5 est aussi, fondamentalement, une question de confiance : la confiance que nous avons tous à cœur les intérêts supérieurs du Canada; la confiance que le gouvernement nouvellement élu agira avec honneur pour réagir à la conjoncture, y compris dans ses relations avec le Parlement et avec le Sénat; la confiance que, comme l’a dit l’opposition, notamment le sénateur Housakos ici même, nous pouvons travailler ensemble pour rendre le Canada plus fort.

Oui, le projet de loi C-5 est effectivement extraordinaire et il sollicite une confiance sans précédent. Le leader de l’opposition dans cette Chambre est sans doute déçu des résultats des récentes élections fédérales, mais je pense que même lui reconnaît que le premier ministre souhaite sincèrement ce qu’il y a de mieux pour le Canada en cette période cruciale, et qu’il veut que le gouvernement réussisse. D’une manière ou d’une autre, le projet de loi C-5 met en œuvre la promesse centrale que les deux grands partis ont faite pendant la campagne, qu’ils aient parlé de mettre « le Canada d’abord » ou de bâtir « un Canada fort ». Il ne s’agit pas ici de favoriser des intérêts partisans, mais de mettre l’accent sur l’intérêt du pays.

Sur une note plus personnelle, c’est peut-être la dernière ou l’une des dernières fois que je prends la parole dans cette Chambre, une Chambre que j’ai appris à aimer profondément. Pendant mon mandat en tant que représentant du gouvernement, j’ai pris des engagements semblables lorsque le temps pressait, par exemple pour apporter des modifications à la Loi sur la sécurité de la vieillesse ou à la Loi sur les langues officielles, pour ne nommer que celles-là. Je pense que le sénateur Harder a eu la gentillesse d’en mentionner d’autres la semaine dernière. Lors de ces occasions et de toutes les autres, j’étais reconnaissant de la confiance que m’accordait le Sénat et, dans chaque cas, le gouvernement a tenu ses engagements.

Fort de l’assurance et de la confiance que m’inspire le ministre LeBlanc, je vous demande une fois de plus de me faire confiance. Si vous êtes prêts à me faire confiance au sujet de l’engagement que j’ai pris au nom du gouvernement, je vous invite respectueusement à voter contre l’amendement afin que nous puissions faire avancer le projet de loi, qui est important et opportun. Il s’agit d’un projet de loi dont les Canadiens ont besoin et qui permettra au pays d’être à la hauteur du défi à relever.

Au cas où ce seraient les dernières paroles que je prononce devant le Sénat, je voudrais que l’on sache que ma parole est sacrée. Merci beaucoup. Nous ne vous décevrons pas. Merci. Meegwetch. Hiy hiy.

Des voix : Bravo!

L’honorable Kim Pate : Merci, sénateur Gold, pour cette intervention sincère et émouvante. Je pense qu’une confiance grandissante existe entre beaucoup d’entre nous dans cette chambre. Toutefois, ce dont nous parlons est une question de confiance qui dépasse largement les murs de cette enceinte, et j’aurais aimé que vous soyez ici à l’automne pour nous aider à veiller à ce que le gouvernement respecte l’engagement que vous venez de prendre. Je suis sûre que certains d’entre nous ne vous lâcheront pas d’une semelle. Très sincèrement, je vous remercie pour votre excellent leadership et pour tout le travail que vous avez accompli.

Honorables sénateurs, je tiens à remercier tous nos collègues pour leurs interventions remarquables aujourd’hui et je tiens à remercier le sénateur Woo d’avoir présenté ces amendements, que j’appuie. Je voudrais parler plus particulièrement du second.

Il sera crucial de pouvoir mener un examen approfondi des règlements élaborés en vertu du projet de loi C-5. Tout d’abord, les pouvoirs de réglementation accordés par le projet de loi C-5 sont majeurs et inédits. Aux termes de l’article 22 du projet de loi, par exemple, le gouvernement pourrait, par règlement, exempter un projet d’intérêt national de l’obligation de se conformer aux lois canadiennes. Nous avons beaucoup entendu parler de l’honneur de la Couronne et du respect de la loi. Cependant, cette loi comprend expressément la capacité de déroger à ces lois par règlement. Les règlements ne sont pas censés aller à l’encontre de l’intention de la loi elle-même, mais le gouvernement pourrait le permettre. C’est extrêmement important.

Ensuite, le ministre LeBlanc et d’autres intervenants nous ont longuement parlé de l’intention du législateur et de l’importance de faire confiance au gouvernement pour mettre en œuvre correctement le projet de loi C-5, notamment parce qu’il dit avoir l’intention de respecter la souveraineté et l’autodétermination des Autochtones, de promouvoir une croissance propre et de respecter les obligations du Canada en matière de changements climatiques.

(1430)

En plus de ce qu’a dit le sénateur Woo, je voudrais rappeler aux sénateurs que le gouvernement a souvent évoqué l’honneur de la Couronne et nous a incités à lui faire confiance à grand renfort de promesses, et ce, pour nous dissuader d’apporter des amendements visant à corriger des lacunes dans des projets de loi, alors que les circonstances étaient semblables à celles d’aujourd’hui. Comme vous le savez, l’unique raison d’être de plusieurs projets de loi que j’ai marrainés est que le gouvernement n’a pas respecté ses engagements.

Au cours de mes dizaines d’années de travail auprès de jeunes délinquants des deux sexes qui avaient été incarcérés, j’ai pu voir que l’intention du législateur pouvait souvent être ignorée dans la réglementation et que les dispositions réglementaires étaient même parfois incompatibles avec cette intention. La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été conçue comme une loi destinée à protéger les droits de la personne au Canada, à l’aide de mesures visant à accélérer la réadaptation des détenus et leur réinsertion sociale, en particulier dans le cas des Autochtones. Je n’ai pas besoin de rappeler à personne que nous n’avons pas fait beaucoup de progrès à ce chapitre.

La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été mise en œuvre dans un esprit très différent de celui qui avait présidé à son adoption. Alors que tous les étudiants en droit savent que les politiques et les règlements élaborés dans le cadre des lois ne doivent pas aller à l’encontre à la loi et de l’intention du législateur, c’est précisément ce qui s’est produit dans le domaine correctionnel.

Pour que le projet de loi C-5 fasse plus que donner carte blanche au gouvernement sur le plan de la réglementation, et pour qu’il permette de faire valoir concrètement les responsabilités du Canada à l’égard des peuples autochtones et de ses engagements climatiques, il faut prévoir des mécanismes de surveillance importants, y compris un examen minutieux de la façon dont le gouvernement exercera les pouvoirs réglementaires incroyables qu’il se donne avec le projet de loi C-5. C’est pour cette raison que j’appuie l’amendement proposé.

Je comprends et je respecte également la volonté du Sénat. Comme l’a affirmé le sénateur Woo, si nous n’adoptons pas cet amendement, il nous incombera à tous d’empêcher que cela se reproduise. Merci. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les non l’emportent.

(La motion d’amendement de l’honorable sénateur Woo est rejetée avec dissidence.)

[Français]

Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Yussuff, appuyée par l’honorable sénateur Varone, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.

L’honorable Amina Gerba : Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-5, partie 2, qui vise à bâtir le Canada de demain. Je salue le leadership du sénateur Yussuff, le parrain de ce projet de loi, qui nous a beaucoup alimentés par des sessions d’information et par ses discours très touchants et enrichissants.

Ce projet de loi est ambitieux : il veut accélérer la réalisation de projets d’intérêt national, fluidifier le commerce interprovincial et renforcer notre cohésion économique. J’appuie ce projet de loi, car je crois qu’il était temps qu’un pays aussi vaste, aussi complexe et aussi riche de ses différences se dote d’outils à la hauteur de ses aspirations.

Toutefois, si nous voulons bâtir vite, nous devons surtout bâtir juste, pour assurer la prospérité de tous les Canadiens.

C’est pourquoi je tiens à rappeler que ce grand élan de développement économique doit aussi être un moment de justice économique, car nous avons la responsabilité de favoriser non seulement l’efficacité, mais aussi l’équité dans la façon dont les marchés seront attribués, les fournisseurs sélectionnés et les chantiers déployés.

L’article 19 de la partie 2 du projet de loi C-5 prévoit que certains projets d’intérêt national seront exemptés de plusieurs étapes de l’évaluation d’impact environnemental. Cela vise à accélérer leur mise en œuvre, mais cette accélération ne doit pas se faire au détriment de la consultation, comme nous l’avons entendu ici. Cette accélération ne doit pas se faire avec un manque de transparence ni d’inclusion. Si l’on réduit les délais, il faut redoubler de vigilance en ce qui a trait à ceux qui bénéficient de ces projets de loi et à la manière dont ils sont réalisés.

Plusieurs collègues ont déjà parlé des défis liés aux peuples autochtones, qui doivent absolument être consultés, écoutés et intégrés à toutes les étapes des grands chantiers. Je remercie nos collègues, qui nous ont bien alimentés à cet effet. Pour ma part, je vais me concentrer sur les entrepreneurs noirs. J’en profite pour évoquer une étude que j’ai eu l’honneur de codiriger au Sénat à l’été 2023 avec notre collègue le sénateur Colin Deacon.

[Traduction]

Je tiens à exprimer ma profonde gratitude au sénateur Deacon pour son leadership et sa considération.

[Français]

Le sénateur Deacon est l’une des rares personnes à reconnaître sans détour, pour l’avoir expérimenté, qu’il existe un privilège blanc dans les milieux d’affaires au Canada et que ce privilège, s’il n’est pas activement déconstruit, perpétue l’exclusion et nuit à la prospérité économique des entrepreneurs noirs.

Notre rapport, dont je recommande vivement la lecture — ou la relecture — à tous mes collègues, montre avec clarté qu’il ne suffit pas d’avoir un bon plan d’affaires pour réussir. Les entrepreneurs noirs issus de la diversité, et en particulier les femmes noires, doivent surmonter des barrières systémiques multiples, souvent invisibles, mais bien réelles. J’ai vécu cela durant 25 ans dans le milieu des affaires au Canada avant d’être nommée au Sénat.

Des données plus récentes sont sans équivoque : aujourd’hui, la population noire ou d’ascendance africaine dépasse 1,5 million de personnes, ce qui correspond à 4,3 % de la population totale.

De plus, en 2024, selon le Diversity Institute, 76 % des personnes noires au Canada exprimaient un intérêt marqué pour l’entrepreneuriat, ce qui représente un taux supérieur à la moyenne nationale. Plusieurs raisons expliquent cela, notamment le manque d’emplois, le besoin d’autonomie financière et la recherche de la création de richesses multigénérationnelles.

Pourtant, en 2024, seulement 1,3 % des adultes noirs sont actuellement entrepreneurs, contre 2,3 % des adultes dans la population générale, selon Statistique Canada.

Parmi eux, 0,7 % de ces personnes sont des femmes noires, un des groupes les plus sous-représentés dans le milieu entrepreneurial à l’échelle pancanadienne, contre 1,2 % des femmes en général.

De plus, selon Statistique Canada, en 2024, 53 % des immigrants et 32 % des enfants d’immigrants étaient des entrepreneurs.

Environ 144 990 entreprises étaient dirigées par des personnes noires, lesquelles représentaient 2,4 % de l’ensemble des entreprises au pays. Enfin, en 2024, selon la Banque de développement du Canada (BDC) et le Diversity Institute, 83 % des entrepreneurs noirs devaient autofinancer leurs entreprises, faute d’accès au crédit.

(1440)

Pourtant, 81 % d’entre eux se disent optimistes quant à l’avenir de leurs entreprises, toujours selon la BDC en 2024. Ces chiffres ne sont pas des anecdotes. Ils sont le reflet d’un système qui, trop souvent, reproduit les inégalités au lieu de les corriger.

Notre rapport propose des solutions concrètes qui pourraient être utilisées dans le cadre du projet de loi C-5, soit renforcer la collaboration entre les parties prenantes, investir de manière soutenue dans les initiatives d’entrepreneuriat noir, collecter des données désagrégées et assumer pleinement le rôle catalyseur de l’État.

[Traduction]

Toutefois, je tiens à souligner un point fondamental : l’équité n’est pas une faveur. Elle doit être fondée sur la compétence et les résultats. Les entreprises ont la responsabilité sociétale d’intégrer l’inclusion non seulement comme un critère d’obtention de contrats, mais aussi comme une mesure du rendement.

[Français]

C’est une responsabilité du gouvernement que d’évaluer les développeurs, les consortiums et les grandes entreprises, non seulement sur leur capacité à livrer, mais sur leur capacité à inclure toutes les entreprises.

Je crois que les affaires et le développement social vont de pair. L’un ne peut prospérer durablement sans l’autre. L’inclusion économique est un levier de croissance, de cohésion et de justice.

Bâtir le Canada de demain ne signifie pas seulement d’ériger des infrastructures. C’est aussi construire un pays où chaque entrepreneur et chaque communauté peuvent contribuer pleinement à notre prospérité collective. L’intégration de l’intersectionnalité doit constituer un pilier central de l’évaluation des grands projets, afin de refléter pleinement la complexité des réalités vécues par toutes les communautés touchées.

Honorables sénateurs, je voterai en faveur du projet de loi C-5, mais mon appui s’accompagne d’un engagement ferme devant vous ici. Je veillerai à ce que la responsabilité sociétale en matière d’équité, d’inclusion et de justice économique devienne une norme incontournable dans la réalisation de tous les projets d’intérêt national.

Nous devons veiller à ce que les entreprises appartenant à des personnes noires, dans toutes les régions du pays, soient non seulement considérées, mais pleinement outillées et intégrées dans les chaînes de valeurs de ces grands projets structurants. C’est ainsi que nous garantirons une prospérité véritablement partagée, une croissance durable et un Canada à l’image de toutes ses communautés. Je vous remercie.

L’honorable Duncan Wilson : Honorables sénateurs et sénatrices, je prends la parole aujourd’hui pour participer au débat sur le projet de loi C-5, Loi sur l’unité de l’économie canadienne. Le Canada traverse une période de transition et de bouleversements. Certaines des relations auxquelles nous étions habitués depuis des années, notamment en matière de commerce, ont été bouleversées.

Les conséquences sont déjà désastreuses pour nos citoyens. Les Canadiens sont confrontés à des prix plus élevés pour d’innombrables biens et services, ce qui fait grimper le coût de la vie en général, les coûts demeurant élevés dans le sillage de la pandémie de COVID-19.

Les travailleurs canadiens sont confrontés à l’instabilité de l’emploi dans des secteurs fragilisés par les tarifs douaniers, ce qui met ces travailleurs, leurs familles et leurs moyens de subsistance dans une situation précaire.

La viabilité et les perspectives à long terme du secteur canadien des ressources sont de plus en plus incertaines, une situation aggravée par le repli de notre principal partenaire commercial et par son éviction.

Honorables sénateurs, en guise d’exemple, j’aimerais dresser le portrait d’un jeune Canadien qui a vu sa situation financière se détériorer rapidement ces dernières années. L’accession à la propriété, autrefois une aspiration à court terme pour cette jeune génération, est désormais un rêve inaccessible, car le prix des maisons a doublé à l’échelle nationale au cours de la dernière décennie.

De plus, au cours des cinq dernières années seulement, le prix des aliments a augmenté de 26 %, ce qui fait en sorte qu’il est plus difficile pour les ménages de se nourrir. Selon le Bilan-Faim de Banques alimentaires Canada, 55 % des familles canadiennes ont du mal à subvenir à leurs besoins alimentaires de base, la demande auprès des banques alimentaires atteignant des sommets historiques partout au pays.

Honorables sénateurs, nous connaissons tous des individus qui correspondent à cette description, que ce soit votre enfant, votre petit-enfant, votre nièce ou votre neveu, votre voisin ou peut-être le personnel de votre bureau.

[Traduction]

Voilà pourquoi le projet de loi C-5 est si important. Il doit permettre de prendre des mesures audacieuses, décisives et révolutionnaires qui amélioreront considérablement les perspectives économiques du Canada, tant pour le pays que pour sa population.

La nécessité de faire face à ces menaces et à celles imposées par le principal partenaire commercial du Canada a non seulement été une question déterminante pour de nombreux Canadiens lors des élections de cette année, mais elle a également été à l’origine du projet de loi dont nous sommes saisis.

Le Canada est une nation commerçante. Nous avons la chance de disposer d’abondantes ressources naturelles très prisées partout dans le monde. Cependant, les infrastructures essentielles du Canada sont actuellement loin d’être suffisantes pour garantir que notre offre réponde à la demande. Après avoir trop longtemps cherché à renforcer nos relations avec notre voisin du Sud, nous avons négligé de développer les moyens nécessaires pour diversifier nos échanges commerciaux. Nous subissons aujourd’hui les conséquences immédiates et graves de notre complaisance et de notre dépendance excessive à l’égard d’un seul marché.

Affaires mondiales Canada souligne que 65 % de l’activité économique du Canada est liée au commerce international. Au lieu de privilégier les échanges commerciaux avec notre voisin immédiat — souvent à rabais —, il est impératif pour la prospérité et la croissance économique futures du Canada de renforcer notre capacité à commercer davantage avec le reste du monde.

Je voulais pouvoir soutenir ce projet de loi avec enthousiasme, mais comme il a été adopté à la hâte au Parlement, nous n’avons pas eu l’occasion de l’examiner correctement et de donner notre avis sur les freins et contrepoids nécessaires. Pire encore, nous n’avons pas obtenu la rétroaction des dirigeants autochtones — les détenteurs de droits, et non les parties prenantes —, une rétroaction qui, si on l’avait prise en compte, aurait pu améliorer les chances de réussite de cette mesure législative et réduire les possibilités de contestations. Parfois, il faut aller lentement pour aller vite.

J’ai bon espoir que, grâce aux engagements pris par le premier ministre et les membres de son Cabinet, nous serons en mesure de surmonter ces défis et de réaliser les objectifs du projet de loi. J’appuie donc le projet de loi.

En guise de contexte, j’aimerais parler de l’expérience que j’apporte au Sénat. Avant ma nomination, j’ai passé les 13 dernières années au sein de l’équipe de direction de la plus importante administration portuaire du pays, qui s’occupe du tiers de nos échanges commerciaux à l’extérieur de l’Amérique du Nord. J’ai vu des projets et des possibilités d’échanges commerciaux réussir et échouer. C’est dans cette optique que je vois comment le projet de loi C-5 pourrait permettre au Canada d’éliminer des obstacles qu’il s’impose à lui-même et de réaliser des projets d’infrastructures d’intérêt national qui nous permettront de diversifier nos capacités en matière de commerce international, dans l’intérêt supérieur des Canadiens.

(1450)

Cependant, je suis également sensible aux préoccupations liées à ce projet de loi et aux répercussions que l’accélération de tels projets pourrait avoir sur l’environnement ou sur les droits inhérents et les droits issus de traités des peuples autochtones. Il est malheureux que l’on n’ait pas consulté les dirigeants autochtones dès le début au sujet de ce projet de loi, car je pense que cela aurait donné l’occasion de structurer le projet de loi de manière à ce qu’il inspire une plus grande confiance. Cela dit, à mon avis, le projet de loi garantit le respect des droits prévus à l’article 35, même s’il ne le dit pas aussi clairement que certains l’auraient souhaité.

À cet égard, j’aimerais citer certaines observations faites par l’honorable Rebecca Alty, ministre des Relations Couronne-Autochtones, lors de sa comparution devant le comité plénier du Sénat, car elles méritent d’être répétées :

[...] [L]es grands projets seront uniquement réalisés dans le cadre de cette loi si des consultations constructives sont menées auprès des Autochtones dont les droits garantis par l’article 35 risquent d’être touchés et leurs besoins sont pris en compte.

Cette loi nécessite la tenue d’importantes consultations auprès des peuples autochtones, d’abord dans le cadre du processus de désignation des projets d’intérêt national, puis lors de l’élaboration des conditions auxquelles ces projets seront assujettis.

Cette exigence n’est pas facultative. Elle est protégée par la Constitution canadienne et intégrée dans l’ensemble de la législation.

Chers collègues, j’avais également l’intention de parler de la Loi d’interprétation du Canada. Toutefois, notre collègue l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, qui est la coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat, s’est déjà exprimée de manière très éloquente à ce sujet. Je suis heureux que le gouvernement nous ait donné l’assurance que cette loi sera respectée.

Tout comme nous devons veiller à ce que les droits des Autochtones ne soient pas compromis, nous devons également veiller à ne pas négliger la protection de l’environnement. Je comprends la crainte que les considérations environnementales soient reléguées au second plan lorsque nous parlons d’accélérer la mise en œuvre de projets spécifiques d’édification nationale. Par contre, le déploiement d’efforts d’atténuation et la prise de mesures de restauration et de renaturation des environnements et des écosystèmes du Canada seront des éléments essentiels du travail effectué dans le cadre de ces projets d’édification nationale.

J’aimerais répéter une suggestion — que j’appuie fermement — faite par M. Sean Southey, directeur-général de la Fédération canadienne de la faune, durant sa comparution devant le comité plénier du Sénat. En parlant de réserves d’habitats par des tiers et de programmes de compensation, M. Southey a dit ceci à propos du concept de compensation :

Il s’agit d’une mesure de conservation visant à compenser les répercussions des projets de développement [...] En termes simples, si un projet a des répercussions négatives sur l’environnement à un endroit, il faut améliorer l’environnement de façon équivalente ou supérieure ailleurs.

Nous encourageons le gouvernement fédéral à autoriser cette solution en permettant, en vertu de la Loi sur les pêches, la création de réserves d’habitats par des tiers. Il s’agit d’une solution avantageuse pour tous. Le fait de restaurer préalablement les habitats et d’en confirmer l’efficacité avant la vente des crédits présente des avantages pour la conservation. Les promoteurs, qui sont les champions de ces projets, peuvent bénéficier d’un processus d’approbation réglementaire simplifié, tandis que nous reconnaissons les avantages environnementaux pour tous les Canadiens.

Chers collègues, en réalité, la création de réserves d’habitats par des tiers est un concept selon lequel une organisation autre que le promoteur responsable d’un projet crée, restaure ou améliore un habitat, puis vend des crédits aux promoteurs qui ont besoin de compenser les impacts environnementaux de leurs projets. Au titre de cette approche, l’habitat doit être construit et sa fonctionnalité doit être prouvée avant que la réserve d’habitat puisse être utilisée comme compensation pour un projet, contrairement à l’approche actuelle, qui exige des mesures de compensation qui n’ont pas encore été créées ni éprouvées.

Bien que ce type de système prenne du temps à mettre en place et qu’il ne nous aidera pas à très court terme, je vais continuer à la promouvoir comme un élément essentiel d’un cadre réglementaire plus efficace et plus efficient pour l’avenir.

Bien que j’appuie l’intention et l’objectif du projet de loi C-5, j’aimerais également rappeler un point qui a été soulevé par l’honorable Lisa Raitt lors du comité plénier du Sénat. Mme Raitt s’est dite préoccupée par le risque de politisation des processus décisionnels qui sont prévus dans ce projet de loi. Même si les amendements ont donné suite à certaines de ces préoccupations, Mme Raitt avait plaidé en faveur du rétablissement du Bureau de gestion des grands projets, tel qu’il était structuré pendant le mandat du premier ministre Harper. Ce bureau, dirigé par Ressources naturelles Canada, était une initiative horizontale qui regroupait 12 ministères et organismes fédéraux. Son mandat était d’améliorer le processus d’examen des grands projets d’exploitation des ressources naturelles. Fait important, cette initiative était dirigée par un comité de sous-ministres, qui fournissait des directives pour régler des questions entourant les projets et les politiques et qui assurait une véritable reddition de comptes à l’égard du processus.

Ayant travaillé dans le domaine de l’élaboration de grands projets sous des gouvernements successifs, je peux témoigner de l’efficacité de ce modèle qui permettait aux sous-ministres d’accorder une attention toute particulière à l’atteinte des objectifs, tout en dépolitisant la gouvernance entourant l’approbation et la mise en œuvre des grands projets — chose qui fait défaut dans le projet de loi C-5. Alors que le gouvernement s’apprête à créer un nouveau bureau pour superviser les projets d’intérêt national, je l’exhorte à rétablir ce modèle efficace, en particulier le volet lié à la surveillance et à la reddition de comptes aux plus hauts échelons de la fonction publique. Je demanderais à l’équipe du bureau du représentant du gouvernement de transmettre ce message aux ministres.

Chers collègues, le projet de loi dont nous sommes saisis représente une occasion économique dont le Canada a désespérément besoin. Nous sommes confrontés à une crise du coût de la vie qui astreint d’innombrables Canadiens à s’enliser plutôt qu’à progresser. Nous sommes confrontés à une pénurie de logements à l’échelle nationale. Notre système de santé est surchargé et manque de personnel. Les changements climatiques continuent de ravager nos écosystèmes, et il faut des fonds pour en atténuer les effets. Nos récents engagements de dépenses en matière de défense, bien qu’essentiels, signifient que nous disposons de moins de fonds pour d’autres secteurs névralgiques. Les investissements dans les infrastructures essentielles des communautés autochtones, telles que l’approvisionnement en eau potable, font cruellement défaut. Afin de financer ces initiatives, il nous faut une économie qui grandit et qui prospère.

En bref, ne lions pas les mains de notre gouvernement afin qu’il puisse réaliser ce pour quoi les Canadiens l’ont élu. Soutenons plutôt ce projet de loi tout en demandant au gouvernement de rendre des comptes sur les nombreux engagements qu’il a pris pour assurer la prospérité économique tout en respectant l’environnement ainsi que les droits garantis par l’article 35 et les engagements du Canada relativement à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Chers collègues sénateurs, donnons au gouvernement la chance de prouver qu’il est à la hauteur de ces défis. Merci. Meegwetch. Hiy hiy.

L’honorable Marty Deacon : Accepteriez-vous de répondre à une question, monsieur le sénateur? Merci beaucoup. Vous avez un point de vue bien particulier grâce à votre expérience dans le secteur des ports et ce que vous avez pu voir — je reviens à ce que Mme Raitt a dit dans son témoignage la semaine dernière à propos du bureau des grands projets.

Certains mots sont revenus souvent à propos du projet de loi jusqu’à maintenant. Je pense que nous pouvons résumer ainsi : confiance, collaboration, scepticisme et précipitation. D’après votre expérience professionnelle avec ce bureau des projets, y a-t-il quelque chose, de votre point de vue, qui aurait pu améliorer son travail? Si nous voulons bien faire les choses, faisons-les vraiment bien.

Le sénateur Wilson : Merci. C’est une excellente question. La décision concernant les projets qui relèvent du bureau est cruciale. Dans ce cas précis, il s’agissait de projets liés aux ressources naturelles et, bien que nous ayons participé à certains d’entre eux, de nombreux projets d’importance nationale n’ont pas été inclus.

Donc, pour l’instant, dans le contexte du projet de loi à l’étude, nous nous intéressons uniquement aux projets d’importance nationale. Il existe probablement de nombreux autres projets dans le système qui pourraient bénéficier de ce type d’approche. Je dirais que si nous pouvons faire une chose, c’est peut-être d’utiliser cela comme programme pilote pour déterminer à quoi ressemble le modèle de gouvernance, puis commencer à appliquer ces enseignements à d’autres parties du processus de révision réglementaire.

L’honorable Marilou McPhedran : Chers collègues, après avoir consulté mes collègues parlementaires, les dirigeants autochtones et la société civile, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-5 pour y proposer des amendements. Je présenterai certains de ces amendements au nom de la sénatrice Dawn Margaret Anderson, qui est en mission parlementaire dans son territoire d’origine, les Territoires du Nord-Ouest.

Ces amendements ont été élaborés en collaboration avec l’Inuit Tapiriit Kanatami, ou ITK. Vous vous souviendrez que le président de l’ITK, Natan Obed, nous a fait part de ses préoccupations en comité plénier. La sénatrice Anderson m’a demandé de vous faire savoir qu’elle devait présenter cet amendement en raison des piètres antécédents du gouvernement du Canada dans des lettres semblables à celle que nous avons reçue du ministre Dominic LeBlanc.

La constitutionnalité de ce projet de loi est remise en question compte tenu de son érosion des principes démocratiques, de l’atteinte prévue aux droits des Autochtones et des risques qu’il fait courir aux Canadiens et à l’environnement en péril que nous partageons. Bien que les amendements de la Chambre des communes remédient en partie à certains de ces problèmes, notamment en améliorant la transparence et en limitant le recours à ce qu’on appelle la clause Henri VIII, c’est-à-dire les dispositions des articles 21 à 23, en cas de prorogation ou de dissolution, ils ne garantissent pas que les dispositions législatives seront conformes aux normes constitutionnelles et aux protections démocratiques.

(1500)

De plus, les amendements de la Chambre introduisent des incohérences qui pourraient mener à une mauvaise interprétation ou à des contestations judiciaires. En s’empressant d’adopter le projet de loi C-5 avant l’ajournement du 20 juin, les députés de la Chambre des communes qui ont appuyé les deux parties de ce projet de loi ont, dans les faits, laissé au Sénat le soin de procéder à un second examen objectif afin de corriger certaines lacunes graves. Les pouvoirs conférés par ce qu’on appelle la clause Henri VIII, soit les dispositions des articles 21 à 23, sont particulièrement troublants, ils ont une vaste portée, et leur constitutionnalité peut être mise en doute.

Bien que la Cour suprême du Canada ait confirmé qu’un pouvoir semblable est conféré par la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, ces dispositions ne faisaient que permettre au Cabinet de prendre des règlements pour annuler des dispositions de cette loi. Dans son opinion dissidente, la juge Côté a qualifié ce pouvoir de « renversant » et a souligné à quel point la loi est encore mal définie, prévenant que de telles dispositions risquent de porter atteinte à la souveraineté parlementaire et de limiter le contrôle judiciaire.

Chers collègues, ce qui est plus renversant, c’est que les conservateurs et les libéraux à l’autre endroit ont volontairement renoncé à leur souveraineté parlementaire au profit du Cabinet Carney, afin qu’il puisse passer outre à des lois comme la Loi sur les pêches et la Loi sur les espèces en péril. Sans aucune orientation judiciaire, sans aucun précédent parlementaire, les conservateurs se sont joints aux libéraux pour céder leur pouvoir au Cabinet dans une mesure et à une échelle largement supérieures à ce qui a été validé dans l’affaire de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.

Au sujet de ce transfert de souveraineté parlementaire, les professeurs Olszynski et Bankes ont conclu qu’il était non seulement « contraire aux principes démocratiques et aux idées de transparence et de reddition de comptes », mais également contestable sur le plan constitutionnel.

Les amendements que je propose visent à éviter que nous renoncions à notre souveraineté parlementaire en limitant le pouvoir réglementaire du gouverneur en conseil à la seule loi habilitante et en ajoutant la Loi sur les espèces en péril à la liste des exceptions prévue au paragraphe 21(2).

Les amendements de la sénatrice Anderson, élaborés en partenariat avec l’Inuit Tapiriit Kanatami, visent à renforcer la transparence et la clarté, en particulier à l’article 4. Ils introduisent des exigences plus claires en matière de consultation et répondent à la mobilisation continue de l’Inuit Tapiriit Kanatami concernant les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Chers collègues, avant de procéder au vote final, qui se conclura probablement par l’adoption du projet de loi, je souhaite vous faire part de plusieurs observations clés de l’Alliance féministe pour l’action internationale concernant les implications de ce projet de loi sans précédent. À l’heure actuelle, au Canada, les femmes, les Autochtones, les communautés racisées — en particulier les femmes racisées — et les personnes handicapées sont déjà aux prises avec une marginalisation économique systémique. Le projet de loi C-5 renforcera ces disparités.

La définition qu’a le gouvernement d’une « économie forte », qui se reflète dans ce projet de loi, que fait valoir le premier ministre Mark Carney et qu’appuient les députés conservateurs, donne la priorité aux projets d’infrastructure à grande échelle dont l’impact négatif sur l’environnement est un fait établi, aux industries qui, historiquement, ont offert un accès limité aux femmes et aux groupes en quête d’équité, à un discours de rapidité et d’urgence qui contraste avec des décennies d’appels à des mesures économiques inclusives de la part des organisations de femmes, appels qui sont souvent restés sans réponse, et à une optique économique étroite qui ne tient pas compte des coûts financiers et sociaux importants de la violence fondée sur le genre.

Des définitions plus larges et plus inclusives du développement économique qui reconnaissent à la fois la durabilité environnementale et les réalités vécues par les communautés marginalisées sont absentes du projet de loi C-5, et cela influencera quels projets seront financés et qui en bénéficiera.

Alors que nous observerons les résultats de cet écrasant projet de loi se déployer au Canada, je vous invite à ne pas oublier cette question clé : les droits à l’égalité garantis par la Constitution, les droits des Autochtones et les droits issus des traités seront-ils les premiers à disparaître avec le projet de loi C-5?

En conclusion, je vous demande d’appuyer les amendements afin de garantir que les décideurs tiennent compte des répercussions des grands projets sur la violence fondée sur le genre et de leur contribution potentielle aux mesures d’atténuation. Ces considérations, qui sont essentielles pour lutter contre la disparition et le meurtre de femmes et de filles autochtones, ne seront probablement pas une priorité pour les promoteurs de projets ou les décideurs fédéraux, à moins qu’elles ne soient explicitement exigées.

Rejet de la motion d’amendement

L’honorable Marilou McPhedran : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-5 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié :

a)à l’article 4 :

(i)à la page 10, par substitution, aux lignes 28 à 36, de ce qui suit :

« paragraphes (1) ou (4) relativement à un projet, il tient compte des facteurs suivants :

a) la mesure dans laquelle le projet peut :

(i) renforcer l’autonomie, la résilience et la sécurité du Canada,

(ii) procurer des avantages économiques ou autres au Canada,

(iii) avoir une forte probabilité de mise en œuvre réussie,

(iv) promouvoir les intérêts des peuples autochtones,

(v) contribuer à la croissance propre et à l’atteinte des »,

(ii)à la page 11 :

(A)par suppression des lignes 1 et 2,

(B)par substitution, à la ligne 4, de ce qui suit :

« climatiques,

(vi) mettre en œuvre les recommandations énoncées dans le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées;

b) tout autre facteur qu’il estime pertinent. »,

(C)par substitution, à la ligne 30, de ce qui suit :

« Canada dans les meilleurs délais après sa prise. Si le décret est pris en vertu des paragraphes (1) ou (4), les motifs doivent notamment démontrer que le gouverneur en conseil a tenu compte des facteurs visés à l’alinéa (6)a). »,

(iii)à la page 13, par substitution, aux lignes 34 et 35, de ce qui suit :

« (5) Le document énonce les conditions applicables à chaque autorisation qui y est précisée ainsi que les motifs qui sous-tendent ces conditions. Les conditions re- »,

(iv)à la page 19 :

(A)par substitution, aux lignes 3 à 5, de ce qui suit :

« ter, en modifier ou en supprimer la mention d’un règlement ou d’un passage d’un règlement. »,

(B)par substitution, aux lignes 7 à 9, de ce qui suit :

« pour y ajouter la mention des règlements pris en vertu des lois fédérales ci-après ou d’un passage de ces règlements : »,

(C)par substitution, à la ligne 29, de ce qui suit :

« p) la Loi sur les produits dangereux;

q) la Loi sur les espèces en péril. »,

(v)à la page 20, par substitution, aux lignes 7 et 8, de ce qui suit :

« nal de l’application de toute disposition d’un règlement pris en »;

b)à l’annexe, à la page 22,

(i)par suppression de l’article 10 à la partie 1 de l’annexe 2,

(ii)par le changement de la désignation numérique des articles 11 et 12 à celles d’articles 10 et 11 et par le changement de tous les renvois qui en découlent.

La sénatrice Anderson et moi-même vous remercions de votre attention.

Meegwetch.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Juste quand je pensais en avoir fini, on m’a attrapé par la peau du cou.

Honorables sénateurs, j’aimerais répondre brièvement à l’amendement proposé par notre collègue la sénatrice McPhedran. Encore une fois, avec tout le respect que je lui dois, je vous exhorte à le rejeter.

Chers collègues, il convient de noter qu’un amendement pratiquement identique concernant la Loi sur les espèces en péril a été proposé à l’autre endroit dans le cadre de l’examen du projet de loi. Or, cet amendement a été rejeté par 306 voix contre 31.

(1510)

En ce qui concerne le processus réglementaire prévu dans le projet de loi, je répète ce qui a déjà été dit dans cette enceinte : le projet de loi C-5 est de portée ciblée, il est limité dans le temps et il prévoit un mécanisme à court terme pour autoriser des projets.

J’ajouterais en outre que le processus réglementaire qui sera entrepris à l’égard des projets figurant à l’annexe sera à la fois rigoureux et exhaustif, mais il sera aussi de portée ciblée. Le gouvernement prend très au sérieux le processus d’examen avec les partenaires autochtones, les provinces, les territoires, les promoteurs de l’industrie et les autres intéressés, de même que les processus de participation et de consultation. Comme on vous l’a déjà dit, le succès de l’approche choisie dépend de ces processus.

Au lieu que plusieurs ministres examinent individuellement les décisions réglementaires relevant de leurs compétences respectives, comme c’est le cas lorsqu’on applique la Loi sur les pêches ou qu’une décision est prise relativement aux oiseaux migrateurs, les ministres concernés informeraient et conseilleraient le ministre désigné afin qu’il publie un document unique énonçant les conditions, ce qui permettra d’adopter une approche pangouvernementale et de réduire les chevauchements.

De plus, chers collègues, cet amendement pourrait générer, dans le projet de loi, une incohérence majeure dans l’application, entre les lois fédérales et la réglementation qui en découle. Cela sèmerait le doute quant à la politique qui sous-tend le projet de loi C-5 et l’empêcherait d’atteindre ses objectifs fondamentaux.

En ce qui concerne la question importante de la violence fondée sur le sexe, le gouvernement actuel s’engage à lutter contre toutes les formes de violence fondée sur le sexe et à mettre en œuvre les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées. Il s’agissait d’un engagement du gouvernement précédent, et c’est également celui du gouvernement actuel.

En effet, le gouvernement a déjà adopté une politique selon laquelle tous les règlements, ainsi que les autres politiques, seront élaborés en tenant compte de l’analyse comparative entre les sexes plus. Comme l’indique le site Web du ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord :

Cela comprend la collaboration avec des partenaires autochtones pour élaborer des cadres ACS+ culturellement compétents et veiller à ce que les voix des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones soient incluses dans le processus pangouvernemental de réconciliation.

Bien que je comprenne l’esprit de cet amendement — et je vous remercie de l’avoir proposé, sénatrice McPhedran —, il n’est pas nécessaire. Il fait double emploi avec les exigences déjà en vigueur concernant l’élaboration de tous les règlements au sein du gouvernement, et ces exigences s’appliqueront à ce projet de loi.

Par conséquent, j’invite respectueusement mes collègues à s’opposer à cet amendement. Merci.

L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, j’ai remarqué une fois de plus dans cet amendement une divergence entre les versions anglaise et française. À la page 3, au point C, on peut lire en anglais :

[...] by replacing lines 28 [...] with the following:

(o) the Explosives Act [...]

Cependant, cet élément ne figure pas dans la version française de l’amendement.

En principe, soit la sénatrice McPhedran demande l’autorisation d’apporter rapidement une modification à la version française, soit nous ne pouvons pas accepter l’amendement proposé.

La sénatrice McPhedran : Je demanderais aux services du greffier de me guider pour déterminer comment il serait possible de répondre aux inquiétudes soulevées par la sénatrice Ringuette.

Son Honneur le Président intérimaire : Nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes afin d’obtenir un avis.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

La sénatrice Ringuette : Honorables sénateurs, nous avons vérifié auprès de notre spécialiste maison. Il s’agit d’un détail d’ordre technique; le mot « and » figure dans le texte anglais, mais il n’est pas nécessaire d’inclure ce détail dans la version française.

Veuillez accepter mes excuses. Selon notre spécialiste, l’amendement est convenable.

[Français]

Son Honneur le Président intérimaire : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président intérimaire : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président intérimaire : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président intérimaire : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

[Traduction]

Quinze minutes? Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Des voix : Maintenant.

Son Honneur le Président intérimaire : Le consentement est-il accordé pour une sonnerie de 15 minutes? En l’absence de consentement, la sonnerie retentira pendant une heure.

Sommes-nous d’accord pour que la sonnerie dure 15 minutes?

Des voix : D’accord.

[Français]

Le vote aura lieu à 15 h 33. Convoquez les sénateurs.

(1530)

[Traduction]

La motion d’amendement de l’honorable sénatrice McPhedran, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Clement McPhedran
Francis Pate
McCallum Prosper—6

CONTRE
Les honorables sénateurs

Adler Loffreda
Arnold MacAdam
Arnot MacDonald
Ataullahjan Manning
Batters Martin
Black McBean
Boehm McNair
Boudreau Mégie
Boyer Miville-Dechêne
Burey Mohamed
Busson Moodie
Cardozo Moreau
Coyle Muggli
Cuzner Oudar
Dalphond Patterson
Deacon (Nouvelle-Écosse) Petitclerc
Deacon (Ontario) Petten
Dhillon Pupatello
Downe Quinn
Duncan Richards
Forest Saint-Germain
Gerba Seidman
Gignac Smith
Gold Sorensen
Harder Surette
Hay Tannas
Hébert Varone
Henkel Wells (Terre-Neuve-et-Labrador)
Housakos White
Kingston Wilson
Klyne Woo
Kutcher Youance
LaBoucane-Benson Yussuff—67
Lewis

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs

Al Zaibak Robinson
Ince Senior
Karetak-Lindell Simons—7
Moncion

(1540)

Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Yussuff, appuyée par l’honorable sénateur Varone, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.

L’honorable Tony Ince : Honorables sénateurs, j’écoute depuis plusieurs jours ce débat très important. Je tiens d’abord à dire que je suis honoré d’être ici et de participer à cette discussion.

À mon avis, il semble que ce soit une question de confiance plus qu’autre chose à l’heure actuelle : confiance envers le gouvernement, confiance envers les législateurs qui élaborent les lois et confiance dans nos communautés et ceux que nous représentons.

Cela dit, nous sommes saisis d’un projet de loi, et on nous invite à l’approuver. C’est très important pour notre pays en ce moment. En tant que Canadien, je suis très fier que nous prenions les mesures qui auraient dû être prises il y a plusieurs générations pour unir notre pays. Nous vivons une période inhabituelle, et en ce moment particulier, tous les premiers ministres provinciaux s’entendent sur la nécessité d’aider notre économie et notre pays à croître et de nous placer dans ce que j’appellerais une position avantageuse sur la scène internationale.

Cela dit, comme bien d’autres, j’ai toutefois des réserves quant à la rapidité avec laquelle nous avons dû agir et je suis préoccupé par les inquiétudes des Premières Nations de ce pays, à qui l’on demande de faire confiance au gouvernement depuis plus de 200 ans. Il est difficile, mesdames et messieurs, de convaincre des gens de nous faire confiance alors que nous les avons marginalisés et opprimés, après leur avoir répété de simplement nous faire confiance, que nous allions travailler avec eux.

Le Canada a besoin de croissance. Le Canada doit être un leader mondial, non seulement pour la paix, mais aussi en matière de croissance et d’innovation. Ce faisant, il faut parfois prendre des décisions, ce qui rend la tâche très ardue pour les personnes qui sont ici présentes, car elles doivent prendre ces décisions pour le compte de nombreux citoyens d’un bout à l’autre du pays.

J’aurais aimé que nous prenions des mesures dès les premières étapes du processus afin de faire ce que de nombreuses personnes nous demandent de faire. Je dis « de nombreuses personnes » parce que j’ai reçu — comme beaucoup d’entre vous — des courriels de partout au pays et de nombreuses personnes de ma collectivité. Permettez-moi de dire que je me sens assis entre deux chaises. Lorsque le projet de loi a été présenté pour la première fois, j’y étais favorable. Oui, nous, les Canadiens, devons prendre ces mesures audacieuses. Nous ne devons pas rester les bras croisés et dire : « Réfléchissons-y. » Cependant, il y a une partie que nous n’avons pas à examiner et à laquelle nous n’avons pas à réfléchir.

Je ne prendrai pas beaucoup de temps parce que je commence à transpirer et à devenir nerveux, mais je vous dirai que j’appuie ce projet de loi. J’espère que je ne le regretterai pas. J’espère que le gouvernement fera son devoir, comme bon nombre d’entre vous l’ont souligné plus tôt.

Je sais que le gouvernement est légalement tenu de mener des consultations et de collaborer avec les intervenants, et je lui ferai confiance parce que, encore une fois, de nombreux sénateurs ont parlé de confiance. Je fais confiance au gouvernement actuel. De nombreux Canadiens font confiance au gouvernement actuel. Les libéraux ont fait campagne en promettant de faire certaines choses. Le moment est maintenant venu pour nous de prendre ces décisions. J’espère simplement que mes observations ne tomberont pas dans l’oreille d’un sourd et que le gouvernement fera vraiment tout ce qu’il sait qu’il a le devoir de faire.

Je tiens à dire aux habitants de toute la Nouvelle-Écosse qui m’ont envoyé des courriels qu’ils doivent croire qu’on a élu des gens qui feront avancer le pays. Lors de barbecues, de fêtes d’anniversaire et d’autres activités, quand les gens commencent à parler du Canada et de politique, plusieurs se demandent pourquoi nous sommes si lourdement réglementés, et pourquoi nous ne pouvons pas faire ceci ou cela. À ce stade-ci, nous sommes en mesure de régler ce problème. Je vais en rester là. Merci.

L’honorable Andrew Cardozo : J’espérais vraiment ne pas intervenir après ce tour de force. Merci, sénateur Ince.

(1550)

Je prends brièvement la parole pour parler du projet de loi C-5 et soulever deux points. Nous avons beaucoup parlé des critiques, mais ce projet de loi est important, comme mon collègue vient de le souligner. Il s’agit de réduire les obstacles interprovinciaux et de réaliser rapidement de grands projets.

En ce qui concerne la première partie du projet de loi, la Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, j’en suis plutôt satisfait et je l’appuie. Dans l’ensemble, j’appuie également la deuxième partie, la Loi visant à bâtir le Canada. Ce sont les articles 21, 22 et 23 qui me posent problème.

Tout d’abord, j’aimerais faire quelques observations sur les clauses Henri VIII. Elles ont souvent été mentionnées. Quand j’ai soulevé la question auprès de la ministre, elle m’a reproché d’utiliser un langage coloré. C’est un reproche qui m’a également été adressé ailleurs. Cependant, j’aimerais parler de l’origine de ce terme.

En 1539, il y a 500 ans environ, le Parlement anglais a adopté une loi appelée Statute of Proclamations 1539. Cette loi avait pour but de permettre au roi de gouverner par proclamation ou par décret et d’usurper complètement le pouvoir du Parlement. C’est ce que le Parlement lui a permis de faire. Le Parlement britannique a ensuite abrogé cette loi huit ans plus tard, en 1547.

Au Canada, comme le souligne le projet de loi C-5, les clauses Henri VIII ont notamment pour conséquence que le Parlement délègue ses fonctions — et les nôtres — au gouverneur en conseil et, dans certains cas, à un seul ministre.

L’ampleur du problème était certainement plus grave dans la version initiale du projet de loi C-5, mais à mon avis, la Chambre des communes a considérablement amélioré le projet de loi.

L’opposition y a apporté d’importants garde-fous et d’importantes limites. Je dirais qu’elle a rendu un fier service au gouvernement en améliorant ainsi le projet de loi. Comme l’ont décrit le sénateur Dalphond et d’autres, les améliorations apportées concernent notamment le comité d’examen parlementaire, les lignes directrices en matière de conflit d’intérêts, l’examen lié à la sécurité nationale, la consultation des Autochtones et le dépôt, par le ministre, d’un rapport annuel devant le Parlement.

Je m’associe à plusieurs des arguments qui ont été présentés. Même si j’aurais préféré que l’on supprime les articles 21, 22 et 23, on les a, à tout le moins, limités. Si vous me permettez l’oxymore, nous avons maîtrisé Henry VIII.

Le deuxième élément dont je voulais parler — j’implore votre indulgence, chers collègues —, c’est que nous avons tous reçu une correspondance volumineuse. Il est bon pour nous d’avoir l’occasion d’échanger avec les gens qui nous écrivent. Certes, beaucoup de gens communiquent avec moi, car j’ai soulevé la question de la clause Henry VIII à quelques occasions. Comme c’est le cas pour chacun de vous, les Canadiens comptent sur moi pour appuyer ce projet de loi ou m’y opposer.

Permettez-moi de vous faire part de mon raisonnement. Je me suis inspiré de la convention de Salisbury et j’ai donc inventé le terme « convention de Salisbury modifiée ». Qu’est-ce que la convention de Salisbury? En gros, elle veut que si un gouvernement met en œuvre des politiques qui faisaient partie de son programme électoral, on s’attende généralement à ce que la Chambre haute — la chambre non élue — appuie ces politiques, qu’elle les approuve ou non.

J’ai quelque peu modifié ce raisonnement comme suit, en cinq étapes. Premièrement, dans son programme, le Parti libéral a promis de façon générale de « bâtir le Canada ». Il n’a pas parlé de dispositions précises — les clauses Henri VIII —, mais il a parlé de faire de grandes choses et de procéder rapidement. Deuxièmement, le gouvernement a présenté un projet de loi. Troisièmement, il a entendu les critiques — on peut se demander si suffisamment de temps a été consacré à cette étape. Quatrièmement, sous l’impulsion de l’opposition, la Chambre des communes a apporté plusieurs amendements au projet de loi. Cinquièmement, la Chambre des communes a adopté un projet de loi initié par le Parti libéral sur la base de son programme électoral et amendé par les partis de l’opposition. Ainsi, le projet de loi dont nous sommes saisis a considérablement changé par rapport à sa structure initiale.

Pour moi, tout compte fait, les changements qui ont été apportés sont considérables. Des garde-fous ont été mis en place. Ces changements sont à la fois utiles et importants, et c’est pourquoi je suis prêt à appuyer le projet de loi C-5. Merci.

L’honorable Scott Tannas : Je n’avais pas prévu de prendre la parole, je serai donc bref. J’ai 45 minutes, mais je ne parlerai que quatre ou cinq minutes.

Nous avons entendu d’excellents discours aujourd’hui. J’ai entendu de nouveaux sénateurs déclarer que cela correspondait davantage à ce à quoi ils s’attendaient, à savoir des discours importants et fabuleux sur une question d’une importance cruciale. Je suis vraiment fier d’être sénateur aujourd’hui.

Nous venons d’assister à des élections où les gens étaient manifestement effrayés par l’instabilité et l’incertitude. Ils recherchaient des garanties et, je pense, de l’espoir. En offrant des plans d’action, des garanties et un leadership tranquille, le premier ministre Carney leur a donné espoir.

Selon moi, le projet de loi C-5 est l’une des premières mesures prises dans le cadre de la mise en œuvre des plans d’action. De mon point de vue, la mise en œuvre a fait défaut au pays depuis une décennie. Je suis ravi de voir quelqu’un qui élabore un plan avec calme et qui s’engage immédiatement dans la voie de sa mise en œuvre. Je félicite le premier ministre et le gouvernement pour cela.

Je tiens à remercier tous les sénateurs qui ont proposé des amendements à examiner. C’est un élément important du second examen objectif. Vous nous avez tous fait honneur par vos amendements et la manière dont vous les avez présentés. Ils ont stimulé la réflexion. Merci à chacun d’entre vous.

J’ai bon espoir que le gouvernement et l’industrie agiront avec honneur en ce qui concerne la consultation des Autochtones et, ce qui est tout aussi important à mes yeux, leur participation à l’économie.

J’ai siégé pendant 12 ans au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. C’est le premier comité auquel je me suis joint lorsque je suis arrivé ici, et j’y siège depuis.

Lorsque je suis arrivé au Sénat, ma participation à ce comité a été une expérience profondément déchirante. Je ne sais pas comment les quelques sénateurs autochtones qui siégeaient à ce comité ont pu y rester. Ils avaient de l’espoir et la foi. Il semblait que chaque semaine, chaque réunion, nous détruisions cet espoir et cette foi, mais ils revenaient.

Je pense au sénateur Watt, à la sénatrice Lovelace Nicholas, au temps qu’ils ont investi ainsi qu’au dynamisme et à la positivité qu’ils ont déployés au début de leur mandat. Nous avons parcouru beaucoup de chemin. Il ne faut jamais l’oublier. En une décennie, nous avons parcouru des kilomètres.

J’espère que les gouvernements autochtones reconnaissent que les temps ont changé et que, comme l’a dit le sénateur Klyne, ce sont les gouvernements autochtones qui tiennent le haut du pavé juridique et moral à l’heure actuelle. Le sénateur Brazeau est un expert en arts martiaux, et il dirait que l’un des fondements des arts martiaux est d’exploiter l’élan de l’adversaire à son propre avantage.

Je suis d’avis que les gouvernements autochtones doivent reconnaître le haut du pavé qu’ils occupent et l’élan qui découlera de ces grands projets, à mesure que les gouvernements et les promoteurs chercheront à obtenir leur consentement et à utiliser ces territoires à des fins d’intérêt national.

(1600)

J’espère que ces gouvernements pourront profiter, pour les sept prochaines générations, de la prospérité, de la fierté, de la culture, de la bienveillance et du respect des Canadiens. Je crois que cela approche à grands pas pour ces peuples. Il est temps que les peuples autochtones se lèvent et nous mènent vers la réconciliation économique.

Voilà ce que j’espère. Il reste encore beaucoup à faire. À l’automne prochain! Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Lucie Moncion : J’ai une question, voire deux, si le sénateur Tannas le veut bien.

Au cours des derniers jours, on a soulevé une question ou émis un commentaire au sujet de la décennie que le Canada a perdu en raison du ralentissement économique et de tout le reste. Cependant, ne diriez-vous pas que ce ralentissement économique a débuté en 2008 après la crise financière? Depuis ce temps-là, nous avons dormi au gaz, comme on dit. Qu’en pensez-vous?

Le sénateur Tannas : Je ne parlais pas de cela. Je parlais de la mise en œuvre de grandes promesses et de grandes déclarations qui sont faites sans aucun plan pour les concrétiser. Le gouvernement conservateur n’a jamais eu ce problème. Peu importe où l’on commence, en 2008, en 2011, etc., les gouvernements de l’époque étaient très actifs.

À mon avis, nous avons traversé une période importante au cours de la dernière décennie. Ce fut une période de changements sociaux considérables, notamment la reconnaissance des droits des Autochtones et le respect qui s’imposait, ainsi que le début de la réconciliation. Toutefois, malgré tous ces progrès, de nombreuses occasions ont été manquées au cours des 10 dernières années. C’est tout ce que je voulais dire, sénatrice Moncion.

L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, le projet de loi C-5 arrive en bout de course. Nous l’avons étudié, nous en avons débattu et nous l’avons analysé. Je prends donc la parole pour réitérer mon appui au projet de loi C-5.

Chers collègues, nous avons la tâche délicieusement ingrate d’élaborer une mesure législative. Nous sommes appelés à trouver un juste équilibre entre, d’une part, tous les aspects liés au rôle du Parlement, ce qui comprend, bien sûr, l’élection générale, la volonté de la population et les grands intérêts régionaux, d’un océan à l’autre, et, d’autre part, toutes les composantes qui font du Canada un pays si riche. Nous fondons donc le tout dans un libellé puissant destiné à bâtir le Canada.

Évidemment, nous avons un premier ministre fraîchement élu qui dispose d’un mandat clair. Tous les partis, tous les parlementaires, ont reçu le même mandat : faire fonctionner le Parlement. Nous vivons actuellement une crise existentielle. C’est en partie de notre faute, quoique certains facteurs étaient hors de notre contrôle.

En 158 ans d’histoire, notre pays a montré que, quand les temps sont durs, les Canadiens se retroussent les manches. Nous faisons corps. Nous trouvons des solutions. Nous travaillons dur pour toujours surpasser les attentes. Voilà un autre défi à relever aujourd’hui.

Nous avons des points de vue différents. Ceux d’entre nous qui viennent du Québec ont des points de vue, tout comme les Canadiens de l’Atlantique. Les Albertains ont certainement des points de vue, tout comme les habitants des Prairies et du reste du pays. Les peuples autochtones au Canada ont également leurs points de vue. Nous sommes tous des personnes distinctes qui avons des points de vue différents. Encore une fois, lorsque nous harmonisons ces points de vue et que nous construisons une chaîne, notre marche devient inarrêtable.

Le premier ministre a présenté un projet de loi. Nous allons lui donner le bénéfice du doute et croire qu’il fera preuve de bonne volonté en le mettant en œuvre. Comme je l’ai dit tout à l’heure au sujet de l’amendement du sénateur Prosper, les mesures législatives et les motions sont merveilleuses, mais il faut toujours la volonté politique de les mettre en œuvre.

J’aimerais croire que le premier ministre Carney, l’opposition à l’autre endroit et tous les sénateurs uniront leurs forces pour se montrer à la hauteur de la situation. Les Canadiens uniront leurs forces et se montreront à la hauteur de la situation. Ceux d’entre nous qui pensent qu’il faut des mesures environnementales rigoureuses au Canada devront mettre un peu d’eau dans leur vin. Ceux d’entre nous qui pensent qu’il faut libérer le potentiel des ressources du Canada à tout prix devront mettre un peu d’eau dans leur vin. Nous devons parvenir à des compromis qui permettent essentiellement de créer de la richesse, d’assurer la prospérité et de produire de l’énergie, ce qui, à terme, permettra de créer de la richesse et d’assurer la prospérité. Tel est notre objectif commun.

Les peuples autochtones doivent toutefois être au cœur de tout ce que nous faisons. Nous avons entendu leurs voix aujourd’hui. Encore une fois, je vais donner le bénéfice du doute au premier ministre. Il mérite qu’on lui laisse le temps d’agir; il vient de remporter une élection générale. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, les électeurs canadiens, quel que soit le parti politique pour lequel ils ont voté, ont envoyé un message clair.

Je pense que nous devrions adopter ce projet de loi et passer le relais au premier ministre. Nous devons toutefois rester vigilants. Nous devons faire notre travail et exercer notre rôle qui consiste à demander des comptes au gouvernement.

Chers collègues, je ne parle pas seulement de l’opposition. Tous les sénateurs — qu’ils soient indépendants ou fassent partie d’un groupe — sont concernés. Nous devons avoir le courage de dénoncer le gouvernement sans pour autant faire de l’obstruction ou entraver les travaux. Nous pouvons être constructifs dans nos critiques, mais nous devons utiliser les outils à notre disposition pour interpeller les ministres, voire le premier ministre si nécessaire. Nous devons commencer à interpeller les sous-ministres et à exiger des réponses. Si le sénateur Housakos pose une question et n’obtient pas de réponse, ce n’est pas une insulte envers le sénateur, c’est une insulte envers l’institution et envers les citoyens que nous représentons.

Nous devons rester vigilants à l’égard du projet de loi C-5 et de tous les autres textes législatifs sur lesquels nous travaillerons collectivement afin de faire du Canada un pays meilleur.

Je m’en voudrais de ne pas souligner quelque chose avant de conclure.

[Français]

Sénatrice Mégie, c’est votre dernier moment dans cette grande institution. Merci de votre service et tout ce que vous avez fait au Sénat.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Le sénateur Housakos : À la sénatrice Seidman, notre fidèle whip et mon amie, merci du travail que vous avez fait pour notre caucus.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Housakos : À mon ami le sénateur Gold — je crois que lorsque je me suis levé, il s’est imaginé que la période de questions recommençait et il a pris la poudre d’escampette. Le sénateur Gold s’est toutefois acquitté avec distinction de sa tâche de représentant du gouvernement. Il a subi les multiples questions que mes collègues et moi avons posées, les questions de tout le monde ici en fait, et il l’a fait superbement. Nous le remercions pour son travail.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Housakos : Sur ce, je souhaite à tout le monde un été fantastique. J’espère ne pas avoir à prendre la parole de nouveau d’ici la fin de la session. Merci.

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)

Projet de loi de crédits no 1 pour 2025-2026

Troisième lecture

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) propose que le projet de loi C-6, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2026, soit lu pour la troisième fois.

Son Honneur la Présidente : Nous poursuivons le débat. Avez-vous une question, sénatrice Batters?

L’honorable Denise Batters : Je voulais poser une question, mais je suis apparemment la prochaine intervenante dans le débat.

Cela dit, chers collègues, je n’ai que quelques minutes pour m’exprimer. Hier soir, la sénatrice LaBoucane-Benson, la leader adjointe du gouvernement, a prononcé son discours de marraine du projet de loi C-6 au Sénat, qui accorde au gouvernement la somme de 150 milliards de dollars.

Après le discours de la sénatrice, je lui ai posé quelques questions. Voici la dernière que je lui ai posée :

Pouvez-vous nous donner plus de détails sur les principaux éléments compris dans ces mandats spéciaux? Vous avez indiqué que le total s’élevait à 73,4 milliards de dollars. Le premier mandat s’élevait à 40,3 milliards de dollars, et le second, à 33,1 milliards de dollars pour les derniers mois. Pourriez-vous nous indiquer quelles étaient les plus grosses dépenses au titre de ces mandats spéciaux?

(1610)

La sénatrice LaBoucane-Benson a répondu :

Merci pour votre question.

Je n’ai pas sous les yeux la ventilation des mandats spéciaux. Ils étaient basés sur des fonds déjà approuvés qui étaient nécessaires au fonctionnement du gouvernement.

Pour ce qui est des détails, mon bureau pourra vous les fournir. Je n’en suis pas capable pour l’instant.

J’ai répondu :

D’accord. Je vous inviterais simplement à inclure ces renseignements dans votre discours à l’étape de la troisième lecture, parce qu’il s’agit de 73,4 milliards de dollars. Recevoir simplement un document ou devoir assister à des heures de réunions du comité... Je pense que nous devons connaître ces chiffres avant de devoir voter sur une somme de 73 milliards de dollars.

Plus tôt aujourd’hui, le sénateur Prosper a prononcé un discours passionné dans lequel il a prévenu que le rôle du Sénat du Canada pourrait devenir purement symbolique. Honorables sénateurs, si nous ne voulons pas que le gouvernement du Canada considère que le rôle du Sénat du Canada se limite à approuver des projets de loi sans discussion, alors nous ne devons pas laisser le gouvernement du Canada croire que c’est le cas. Nous nous apprêtons à voter sur le projet de loi C-6, qui nous demande d’accorder 150 milliards de dollars au gouvernement. Lorsque nous cherchons à obtenir des renseignements sur les dépenses plus importantes de 73 milliards de dollars liées aux mandats spéciaux, nous devrions les obtenir ici, au Sénat.

N’oubliez pas, sénateurs, que ce sont des mandats spéciaux qui ont permis au gouvernement d’obtenir les fonds dont il avait besoin pour fonctionner pendant les cinq ou six mois où il a prorogé et dissous le Parlement. Cette somme de 73 milliards de dollars n’a fait l’objet d’aucune surveillance parlementaire avant ce vote. Malgré cela, les représentants du gouvernement du Canada au Sénat ne nous ont pas donné, en notre qualité de parlementaires, des réponses sur cette somme. C’est inacceptable et irrespectueux envers nous, sénateurs, mais c’est également inacceptable et irrespectueux envers les millions de Canadiens qui paient des impôts et attendent de nous que nous veillions sur eux.

Pour ces raisons, je voterai contre ce projet de loi, et je vous demande de songer à faire de même. Merci.

Son Honneur la Présidente : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Une voix : Quinze minutes.

Son Honneur la Présidente : Le vote aura lieu à 16 h 27.

Convoquez les sénateurs.

(1620)

La motion, mise aux voix, est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté :

POUR
Les honorables sénateurs

Adler Klyne
Al Zaibak LaBoucane-Benson
Arnold Lewis
Arnot Loffreda
Black MacAdam
Boehm McBean
Boudreau McNair
Boyer Mohamed
Burey Moncion
Busson Moreau
Cardozo Muggli
Clement Oudar
Cormier Pate
Coyle Patterson
Cuzner Petitclerc
Dalphond Petten
Deacon (Ontario) Prosper
Downe Pupatello
Duncan Quinn
Forest Robinson
Francis Saint-Germain
Gerba Senior
Gignac Sorensen
Gold Surette
Harder Tannas
Hay Varone
Hébert White
Henkel Wilson
Ince Woo
Karetak-Lindell Youance
Kingston Yussuff—62

CONTRE
Les honorables sénateurs

Ataullahjan Richards
Batters Seidman
Housakos Smith
MacDonald Wells (Terre-Neuve-et-Labrador)—9
Martin

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Aucun

(1630)

Projet de loi de crédits no 2 pour 2025-2026

Troisième lecture

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) propose que le projet de loi C-7, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2026, soit lu pour la troisième fois.

Son Honneur la Présidente : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les oui l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Le vote doit-il avoir lieu maintenant?

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : La motion sera mise aux voix maintenant.

La motion, mise aux voix, est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté :

POUR
Les honorables sénateurs

Adler LaBoucane-Benson
Al Zaibak Lewis
Arnold Loffreda
Arnot MacAdam
Boehm McBean
Boudreau McNair
Boyer Mohamed
Burey Moncion
Busson Moreau
Cardozo Muggli
Clement Oudar
Cormier Pate
Coyle Patterson
Cuzner Petitclerc
Dalphond Petten
Deacon (Ontario) Prosper
Downe Pupatello
Duncan Quinn
Forest Robinson
Francis Saint-Germain
Gerba Senior
Gignac Sorensen
Gold Surette
Harder Tannas
Hay Varone
Hébert White
Henkel Wilson
Ince Woo
Karetak-Lindell Youance
Kingston Yussuff—61
Klyne

CONTRE
Les honorables sénateurs

Ataullahjan Martin
Batters Seidman
Housakos Smith
MacDonald Wells (Terre-Neuve-et-Labrador)—8

ABSTENTION
L’honorable sénateur

Richards—1

(1640)

Les travaux du Sénat

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 16-1(8) du Règlement, j’avise le Sénat qu’un message de la Couronne concernant la sanction royale est attendu plus tard aujourd’hui.

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, l’article 16-1(8) du Règlement prévoit que, à partir du moment où le leader ou représentant du gouvernement, ou le leader adjoint ou coordonnateur législatif du gouvernement a fait cette annonce :

[...] toute motion visant à lever la séance est irrecevable, et sont en outre suspendues les dispositions du Règlement régissant l’heure fixée pour la clôture ou la suspension de la séance ainsi que toute décision antérieure relative à la levée de la séance. Ces dispositions s’appliquent jusqu’à la réception du message ou jusqu’à ce que le leader ou représentant du gouvernement, ou le leader adjoint ou coordonnateur législatif du gouvernement ait indiqué que le message prévu n’est plus attendu. Lorsque le Sénat termine ses travaux avant la réception du message, la séance est suspendue jusqu’à la convocation du Président, la sonnerie se faisant entendre pendant cinq minutes avant la reprise des travaux.

Ces dispositions régiront donc les travaux d’aujourd’hui.

[Français]

Vœux et remerciements

Son Honneur la Présidente : Honorables sénatrices et sénateurs, alors que nous arrivons au terme d’une année parlementaire marquée par des transitions majeures, je tiens à exprimer ma profonde gratitude à l’ensemble des équipes qui soutiennent notre travail avec tant de compétence et de dévouement.

Ensemble, nous avons traversé une prorogation, une dissolution, puis l’ouverture de la 45e législature marquée par un moment historique : le discours du Trône lu par Sa Majesté le roi Charles III.

Nous avons dit au revoir à des collègues et nous avons accueilli plusieurs nouveaux collègues dans cette enceinte.

[Traduction]

Cela nous a rappelé avec force les traditions constitutionnelles au cœur de notre démocratie, ainsi que de la continuité de nos institutions et de leur capacité à évoluer avec le temps.

Rien de tout cela n’aurait été possible sans vous tous.

Je ne parle pas seulement des sénateurs, mais de toutes les équipes remarquables qui soutiennent notre travail, que ce soit dans nos bureaux, dans l’Administration du Sénat ou parmi nos partenaires parlementaires. Vous incarnez à merveille ce que signifie être au service de nos institutions démocratiques.

[Français]

De toutes les directions, des pages aux services de sécurité, des traducteurs et interprètes aux techniciens, du personnel administratif et d’entretien à nos propres adjoints et conseillers, sans oublier notre greffière, Shaila Anwar, notre sous-greffier, Gérald Lafrenière, et, bien sûr, l’huissier du bâton noir, Greg Peters, et leurs équipes.

Votre agilité et votre sens du service public nous inspirent. Je remercie également les membres du Service de protection parlementaire, le SPP, qui célèbre ses 10 années d’existence, de leur engagement continu — nuit et jour — pour la protection de notre démocratie.

Dans ce contexte exigeant, nos équipes ont fait preuve d’une agilité remarquable, d’un engagement sans faille et d’un professionnalisme admirable.

[Traduction]

Chaque jour, votre travail m’inspire. L’année a été riche en événements et en changements, mais grâce à votre soutien, nous avons servi les Canadiens avec efficacité et respect.

[Français]

Alors que nous prenons une pause estivale bien méritée, je vous invite à profiter de ce moment pour vous ressourcer, retrouver vos proches et revenir avec l’énergie renouvelée dont je vous sais capables.

[Traduction]

Comme le disait un de mes sages prédécesseurs : n’oubliez pas d’éteindre vos téléphones, de temps en temps.

[Français]

Je vous souhaite à tous un bon été!

Merci beaucoup. Meegwetch.

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Le Sénat a terminé ses travaux. Conformément à l’article 16-1(8) du Règlement, la séance est suspendue. Les cloches se feront entendre cinq minutes avant la reprise de la séance.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(1750)

La sanction royale

Son Honneur la Présidente informe le Sénat qu’elle a reçu la communication suivante :

RIDEAU HALL

Le 26 juin 2025

Madame la Présidente,

J’ai l’honneur de vous aviser que la très honorable Mary May Simon, gouverneure générale du Canada, a octroyé la sanction royale par déclaration écrite aux projets de loi mentionnés à l’annexe de la présente lettre le 26 juin 2025 à 17 h 29.

Veuillez agréer, Madame la Présidente, l’assurance de ma haute considération.

Secrétaire du gouverneur général,

Ken MacKillop

L’honorable

La Présidente du Sénat

Ottawa

Projets de loi ayant reçu la sanction royale le jeudi 26 juin 2025 :

Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre) (projet de loi C-202, chapitre 1, 2025)

Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada (projet de loi C-5, chapitre 2, 2025)

Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2026 (projet de loi C-6, chapitre 3, 2025)

Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2026 (projet de loi C-7, chapitre 4, 2025)

[Traduction]

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5g) du Règlement, je propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 23 septembre 2025, à 14 heures.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(À 18 h 2, conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 19 juin 2025, le Sénat s’ajourne jusqu’au mardi 23 septembre 2025, à 14 heures.)

Haut de page